Comment conquérir sa liberté ? S’agit-il de courir après l’approbation du monde, de la reconnaissance de ceux dont on valorise l’opinion, ou tout simplement de ceux qui sont en position de pouvoir par rapport à nous ? Ou bien est-ce une question personnelle, spirituelle, plus profonde que ce que nos proches pourront jamais imaginer apercevoir en nous ? Est-ce une brise qui se balade autour de nous, un peu comme une essence invisible qui émanerait de notre personne sans que jamais on ne contrôle ce qui la définit ? La liberté, ce mot galvaudé qui s’écrit au fil de l’eau. Lorsque les vagues qui se brisent contre l’étrave du bateau explosent en même temps toutes les raisons du monde de rester enfermé dans un rôle. Ce rôle que nous portons depuis l’enfance, parfois. Depuis l’adolescence ou l’âge adulte, quand on est un peu plus chanceux. La liberté ne résonne pas très fort, dans ces costumes trop petits. Mais la mer… L’infini de la mer. Le bonheur de voir un coucher de soleil, ce gros abricot à l’horizon qui nous salue de loin, entretenu par deux jolis nuages loquaces et rosés…
Et, autre reflet de liberté, cette marche que nous avons faite aujourd’hui. Voilà des mois que l’appel de ce volcan résonnait dans nos petites têtes entêtées. Mais ce n’était jamais le bon temps, ou alors on ne l’avait pas, le temps. On ne le prenait pas. Pas encore. Aujourd’hui, c’était le bon jour. On avait besoin de s’aérer la tête, alors on est partis. Je me suis comme chaque jour (ou presque) levée la première, à 5h30, pour écrire. J’écris depuis l’âge de 10 ans, et j’avoue, j’avoue, j’ai un plaisir presque coupable à me savoir lue à travers ce blog depuis des mois. Car depuis toutes ces années, il y avait eu si peu d’occasions de partage, hormis la feuille de chou annuelle que je rédigeais pour la famille, les amis. Bref, merci à tous ces lecteurs qui sont la raison d’être de ce blog et me permettent une liberté de plus, une vraie, authentique liberté. Et j’ai écrit, comme presque chaque jour, ce matin. Ça m’a mise du bon pied pour attaquer notre montagne. J’ai réveillé la smala. On est partis, tout pimpants (il le fallait bien, vu le défi !) vers la grande Pelée. La montagne Pelée, ce volcan endormi qui s’est violemment réveillé en 1902, faisant des dizaines de milliers de victimes et rasant presque entièrement la ville de Saint Pierre (voir mon post de février sur le sujet). Au pied de la montagne, juste avant l’ascension, nous rencontrons un martiniquais qui nous raconte que c’est la 15ème fois, cette année, qu’il va la gravir… Le chiffre me laisse songeuse. Il nous explique que la ballade « courte », c’est 2h de marche pour l’aller, autant pour le retour. Soit, allons-y ! À 10h du matin, pour une des rares fois de l’année ce jour-là, la montagne Pelée est imberbe. Dénuée de nuages. C’est assez rare pour être souligné ! D’autant que, en pleine saison des pluies, le phénomène tient presque du miracle. C’est en tout cas ce que nous dit notre pro de la grimpe…
D’emblée, nous tirons la langue. La première partie est raide, et la chaleur assez écrasante. Le sentier est très bien aménagé, puisque des semblants de marche ont été faits avec des morceaux de bois. Mais c’est dur ! Pourtant, Laé semble presque courir là-dessus, à l’aise et babillant à qui mieux mieux. Laé, du haut de ses 7 ans, va nous mettre dedans toute la journée, d’ailleurs, il va rester en tête de notre petite procession durant les 4h que durera la ballade, aller et retour ! Et le voyage continue sur des centaines de mètres, nous grimpons, la vue devient époustouflante. Le vert de la végétation qui recouvre comme un manteau les parois du volcan est lumineux sous le soleil matinal. Les lumières, comme partout en Martinique, sont irréelles. Des nuages passent rapidement, juste à temps pour apporter des nuances magnifiques au paysage. Très rapidement, Ben et moi sommes trempés de transpiration tant la montée est rude. Nos petits galopent devant, bien heureux de ne pas avoir, comme nous, à porter les 6 litres d’eau que nous nous trimballons (sans compter la bouffe, la pharmacie, la crème solaire… même si Théo aura aussi son sac à dos, le bon gars)! Vers 11h30, nous arrivons au pied du cratère. Il s’élève devant nous comme un mur immense, recouvert d’une végétation épaisse. Et toujours ces lumières qui se promènent sur les versants, au gré des nuages. Il nous faut à présent franchir cette muraille, et la ballade promet d’être encore plus sportive ! Raidillon à passer, pentu comme une piste de ski (une noire au moins !) et qui remonte avec à peu près le même angle par rapport au sol : très aigu !!! Nous grognons de devoir esquinter ainsi nos genoux dans la descente, et nos quadriceps dans la montée. Mais personne ne traîne, à part Sacha qui s’amuse à ramasser tous les cailloux du chemin pour, comme il dit, « faire comme les hommes préhistoriques », et de casser celui-ci sur celui-là pour voir ce que ça fait… À part aussi Laé qui, en nous attendant, se met à uriner du haut d’un promontoire juché sur une falaise haute de 50 mètres au moins… Un moyen de baptiser la montagne, ou de marquer son territoire, on a pas trop su. Ça a au moins eu le mérite de faire rire les grimpeurs italiens qui passaient par là ! Et quand Ben et moi, un peu échaudés par la grimpette, arrivons bons derniers, on se fait recevoir à coup de « salut les mollusques ! » par un Théo en pleine forme !
Finalement, raidillon franchi, on aperçoit de loin Le Chinois, le point le plus haut du volcan, celui précisément que nous visons depuis le début. Mais il se mérite, le chinois, et il a plutôt mauvais caractère, puisqu’il nous oblige à grimper encore des centaines de mètres, puis de redescendre la même distance, et de remettre ça un peu plus loin… On commence à trouver le temps long, mais on tient bon !! Et bien sûr, ce sont nos trois marmousets qui arriveront les premiers pour la vue ahurissante que l’on aperçoit depuis là-haut. Laé, trompe la mort, se hisse près de notre grimpeur du début de la ballade, arrivé là une bonne heure avant, sur un bout de falaise qui taquine le vide. Même pas peur ! On mange tranquille, avec une vue débile : la mer des Caraïbes sur la droite, avec la côte qui se découpe dans l’eau bleue, l’océan Atlantique à gauche, défilé de pitons devant nous, le tout est vraiment beau. Et parsemé de nuages qui passent et repassent près de nous. La descente sera encore plus éprouvante, car les jambes ressemblent à du coton et qui, fatigue oblige, refusent obstinément de faire la job. Mais les petits gars ne se découragent pas, et Laé repart presque en courant (il arrivera bien sûr en premier !), suivi de Théo qui ne s’en laisse pas compter, et de Sacha qui, faute de pouvoir les garder dans ses mains (bien utiles quand on veut s’agripper aux rochers pour éviter de se casser la gueule), les a fourrées dans ses poches, à présent déformées grossièrement !
Force est de constater quelques petites choses. La première : Delerme s’est complètement gourré, avec sa première gorgée de bière. Car on a manqué d’eau à la fin de la ballade, et quand Ben a ramené à la voiture 3 bouteilles d’eau pétillantes, le goût a été tel qu’il a largement supplanté la bilouze ! Cette gorgée là valait de l’or. Se désaltérer après avoir eu aussi soif et après tant d’effort, c’est… Autre petite chose, les enfants ont des capacités sidérantes, et une résilience physique surprenante. Ils ont pas moufté, les affreux, quand il a fallu se taper des trucs que pas mal d’adultes auraient refusé de faire. Et ils ont gardé le sourire tout le long, même si Sacha a un peu râlé à la fin (on se rappelle qu’il avait gardé des cailloux plein les poches et… c’est lourd, des cailloux !). Dernière constatation après cette journée. Ben et moi avions des trucs qui tournaient en boucle dans la tête depuis quelques jours. Eh bien ce genre de ballade nous a lavé le cerveau à grande eau ! Pas moyen de continuer à cogiter avec ce genre d’épreuve physique. Juste avancer, coûte que coûte, et admirer, et sentir, et marcher encore, et avoir conscience que les mollets deviennent raides de fatigue et douloureux pour monter sur la moindre pierre. L’ascension d’une montagne est un parcours spirituel et un exercice hautement méditatif. J’en arrive à ma liberté du début de ce post. Cette liberté se conçoit comme découlant naturellement de la nature. On vient de la nature, et on y retournera. Conclusion logique de ce constat, on est une partie du tout. Et à ce titre, retourner dans le pays de ses origines permet de se sentir être sans avoir besoin d’en demander la permission à qui que ce soit. On peut alors se sentir tricoté de cette nature qui nous constitue sans avoir de rôle à définir. On est juste un être humain qui grimpe au milieu de nulle part et se dépasse sans rien demander à personne. La reconnaissance, elle vient alors de l’intérieur. Elle est profondément une « endo-reconnaissance » qui se passe de justification. Cette liberté, que je retrouve aussi en mer, c’est une recherche qui vaut tous les efforts, toutes les dépenses réalisées pour ce voyage. Tous les risques entrepris et les sacrifices consentis depuis une dizaine d’année… et qui aboutissent finalement dans cette succession d’instants précieux cultivés avec bonheur au fil des jours. Une joie que je souhaite à chacun d’entre vous.
Hello les aventuriers,
on ne se lasse pas de lire vos billets !! Merci et félicitations à Fanny pour la fréquence des messages. profitez profitez profitez !!
Bises à tous,
TAOZ crew
Merci, les Taoz!
S’il te plait Fanny, ne cesse pas d’écrire. Je te lis du bureau… Je te lis comme on lit un roman. Vois-tu, quand j’ouvre ton blog et que je plonge dans les derniers récits de l’équipage, le temps n’existe plus. Je rêvasse un peu, et puis reprends doucement la cadence.
Tu es une des raisons d’être de ce blog, ma Lucie! Merci de tout coeur pour ces mots qui me touchent…
Moi aussi je me régale à te lire, chère Fanny ! Surtout continue, je trouve que tu as un beau brin de plume et tes posts sont toujours à la fois intéressants, inspirants, poétiques… et nous invitent à vous rejoindre un peu 🙂
Plein de bises de la terre.
Merci merci, Gaëlle… Quant à moi, j’ai hâte de lire ton prochain roman!
Aaaah, cette montagne… J’en garde un souvenir de sacres délicieux quand nous l’avions montée en 2006 (alors enceinte de quelques petites semaines)… Merci de me faire revivre cela !
Au plaisir, Fanny !