D’un petit conflit autour d’un échiquier, nous en sommes venus à une grande discussion avec notre ado en bouton (de fleurs, pas encore celui de l’acné !) national. La question du jour : faut-il respecter les règles à tout prix, et pourquoi ? De là, nous sommes partis du côté du fair play, de l’honnêteté (qui peut parfois, à juste titre, se passer des règles), et de valeurs fortes. Tout ce qui fait qu’une vie repose sur des choix, des valeurs et que la structure qu’apportent les règles reste un cadre nécessaire mais pas indispensable dans toutes les situations que l’on vit en tant qu’individu.
Théo, cohérence oblige, était partisan d’un respect systématique aux règles, notamment celles qu’on lui enseigne depuis toujours (ça se défend, surtout du point de vue de l’éducateur !). Cependant, nous avons essayé de mettre un peu de poivre dans son sel, et de lui ouvrir les perspectives réjouissantes et un peu plus complexes de l’éthique ! Notion fumeuse s’il en est, et que tout un chacun ne comprend pas toujours de la même façon. Toujours est-il que nous voilà partis sur les métaphores, des exemples concrets qui posent des problèmes éthiques où la règle peut (doit) parfois être contournée, voire franchement ignorée. Le problème habituel du témoin qui voit une victime fuir son agresseur et qui est face à un dilemme : dire au meurtrier où est partie la victime (au risque de voir l’autre mourir) ou mentir (et donc violer la règle qui dit qu’on ne doit pas mentir) est donc décrite dans les détails pour apporter de l’eau à ce petit moulin tout neuf dont on voit à l’oeil nu tourner les engrenages… C’est fascinant, d’aborder ainsi des problèmes courants qui sont autant d’occasion d’éduquer, de confronter, de poser des questions… L’autre jour, pendant une longue balade à pied à Terre de Haut, Théo (m’entendant pester sur les impôts que nous allons une fois de plus payer au Québec), me demande ainsi à quoi ils servent et quelle est la raison de leur existence ! Je m’englue un peu dans un vaste tour d’horizon qui évoque dans le même temps les usages affectés à ces impôts (l’éducation, la santé, etc.), les détournements à la Cahuzac, sans oublier aussi les systèmes d’allocation et comment celles-ci sont utiles mais parfois aussi perverses pour les gens qui les perçoivent. Bref, l’actu en plein dans la poire, et un petit cerveau qui turbine à fond pour mettre en branle la machine à réflexion. Ça se construit dur, là-dedans, ça raisonne et ça veut comprendre ! C’est aussi un plaisir immense pour nous d’introduire un peu de complexité là où, si peu de temps avant, le manichéisme de l’enfance rendait les choses on ne peut plus simples !
Pour clore cette journée intello, nous les mettons devant un film qui veut leur montrer qu’avec certaines valeurs, on peut parfois aller à l’encontre de ses intérêts propres afin de rester fidèle à soi-même. Le grand gagnant de cette éducation par la métaphore : Cyrano de Bergerac ! Nous leur montrons donc comment un Cyrano va, par amour pour sa belle Roxanne, taire ses prétentions à un amour qui aurait pu lui être gagné d’avance pour aider son rival. Une abnégation que des valeurs fortes peuvent seules expliquer. Un fair play que notre jeune Théo peut totalement intégrer grâce à cette magnifique illustration. Et, ce qui n’a rien gâché, nous avons eu le plaisir d’entendre Sacha s’esclaffer chaque fois que Cyrano envoyait des alexandrins bien sentis à la face de ses adversaires, « et à la fin de l’envoi, je touche ! »
Sur un autre thème, je m’interroge ces derniers jours… Je me sens prise entre deux eaux. Celles du voyage, celles du retour. Les eaux de cette vie qui ne m’a pas encore accueillie, et de celle que je vais délaisser. Je me rappelle avoir il y a quelques temps publié un post sur le sentiment d’être marginal, dès lors que l’on s’extrait de ce monde de terriens dans lequel vit la plupart des gens. Et, curieusement, cette notion de marginalité en avait interpellé plus d’un, au vu des commentaires suscités alors. Je me retrouve finalement rendue à ce point où il faut savoir comment se définir, et le faire loin des repères habituels. Car un des repères « phare » de la société d’aujourd’hui, c’est la définition toute prête qu’apporte le travail. Luxe que ne peuvent se payer ceux qui sont au chômage, en congé de maternité, en arrêt maladie… Cela me ramène d’ailleurs à cette période à la fois bénie et honnie que j’avais passée après chacune des naissances de mes enfants. On est comme en dehors de la vie qui se passe à l’extérieur de la maison. On est plus dans le coup. On ne peut plus se définir par la façon habituelle qu’ont les gens de se reconnaître entre eux. « Et toi, c’est quoi ton boulot ? ».
Moi, du boulot, j’en ai pas. Ça va faire un an et demi que j’en ai pas. Et quand je vais devoir me démener dans quelques semaines pour en dégotter un (reconnaissance du diplôme québécois oblige, et je vous passe les détails scabreux pour y arriver), il va me falloir revenir devant d’autres personnes sur ce qui aura été une parenthèse particulière. En attendant, il me faut trouver un rôle à occuper, que je ne parviens pas à cerner totalement. Qu’aurai-je fait de ces mois de navigation ? Quelles casquettes ai-je mis sur ma tête et qui pourrait signifier quelque chose aux yeux des autres ? Celle de bosco de bord, de gestionnaire de l’avitaillement, de prof à plein temps ou même d’infirmière à temps partiel ? Celle de prof de yoga, de rêveuse professionnelle, d’écrivaine intempestive ? Comment en arrive-t-on ainsi à vouloir faire revêtir de force à un individu un costume taillé uniquement par la somme des activités qu’elle pratique ?? Où va le monde ??? Parce que ce statut de marginale ne vaut que si j’accepte que ce qui définit un rôle, c’est la société. À ses yeux, oui, on est sciemment sortis du système il y a un an et demi. Et les profs des enfants pourront leur reprocher de n’avoir pas vu telle notion de géographie, et d’avoir manqué tel type d’exercice qu’on fait habituellement pour cette classe-ci. Mais ces critères sont purement subjectifs. On ne peut se trouver un rôle que si on accepte le fait que ce soit la société qui les distribue. Dans le cas des enfants, oui, on pourra leur reprocher des lacunes diverses, mais qui sera là pour compter tout ce qu’ils auront appris, et qu’on ne pourra jamais reporter sur un bulletin de notes ?
Alors je reste là, un peu déprimée de me sentir si peu en relation avec mes pairs, ceux que je vais rejoindre, et avec tant de raisons de me sentir différente, en retrait, en retard ( ?). Finalement, après un bon café, une marche dans le bourg et du soleil dans la tête, j’ai décidé que non. Non, je refuse de me définir dans une boîte aussi petite. Je veux bien toutes les étiquettes, marginale, cinglée, originale, voileuse… pour autant que ces post it, ce soit moi qui me les colle au front. J’ai eu besoin de ce petit passage à vide pour décider que je me définissais au mieux par la personne que j’ÉTAIS et non par ce que je faisais. Être plus que faire. Respirer, plus que manipuler. Je décrète donc mon droit inaliénable à l’auto-définition ! On donne trop souvent la chance à autrui de nous mettre en boîte, de nous faire rentrer dans ces définitions trop petites qui ne peuvent nous contenir. Je veux être plus qu’une mère, une épouse, une infirmière, une écrivaine, une prof de yoga, une coiffeuse occasionnelle, une cuisinière, une amiral ou une cueilleuse de pommes. Je revendique le droit de n’être que moi. Un point, c’est tout.
Je vous laisse sur cette citation de Pierre Rabhi qui décrit bien cette éthique à échelle humaine que nos comportements peuvent traduire et qui valorise l’ « être », tout en soulignant que le « faire » peut (doit ?) être responsable :
Désormais, la plus haute, la plus belle performance que devra réaliser l’humanité sera de répondre à ses besoins vitaux, avec les moyens les plus simples et les plus sains. Cultiver son jardin ou s’adonner à n’importe quelle activité créatrice d’autonomie sera considéré comme un acte politique, un acte de légitime résistance à la dépendance et à l’asservissement de la personne humaine.
Vers la sobriété heureuse, Pierre Rhabbi, ed. Actes Sud (2010)
Théo a définitivement un petit air de son oncle sur cette photo (tonton croisé hier au complexe Desjardins)
salut à tous!
c’est drôle que tu cites Pierre Rabhi…j’ai lu un de ces livres il y 2 jours 🙂
j’ai hâte de te jaser!