Le bordel… La maison dégueulasse du sol au plafond, des vêtements entassés par un petit poucet (ou deux… ou même trois, tant qu’on y est !) peu précautionneux qui laisse des traces bien odorantes de son passage dans la forêt… de chaussures balancées dans toutes les pièces. Les vitres teintées d’un filtre magique qui ne laisse plus passer les rayons du soleil qu’à travers un voile coloré en gris sale… Rien ne vaut une armée de marmots déchainés pour faire un look inoubliable à une petite maison au départ proprette. Mais ils ne sont malheureusement pas les seuls responsables. Les adultes (j’ai nommé Ben et moi) sommes aussi coupables qu’eux (quoi qu’un peu moins, éducation oblige – mes parents me seront reconnaissants de cette dernière remarque). Bref, le bordel existe à la maison comme un papillon a des ailes ou une fleur ses pétales. C’est ainsi. Je lutte pourtant, mais ça reste collé au décor comme une mouche sur son plat de viande. J’ai décidé d’assumer la chose avec philosophie. Pire. D’en faire une force. Une sorte d’image de marque. D’outil de découragement massif face à des crises de perfectionnisme de mon entourage.
Petit exemple encore tout frais à ma mémoire. Qui date pourtant de Montréal. J’avais une voisine que j’aimais beaucoup. Célibataire avec deux enfants, elle avait toujours une maison impeccable, pas la moindre trace de miette en perdition sous la table, une poussière inexistante (allez-y, tentez de faire la chasse à la poussière avec deux mômes en bas âge à la maison : c’est une MP3, comme dirait Sacha : une Mission Presque Pas Possible !). Bref, elle se menait la vie dure, à la maison comme partout. Elle s’imposait un maquillage parfait chaque jour (week end compris), des enfants tirés à quatre épingles en tout temps (ce qui lui causait quelques crises d’apoplexie régulières, attendu que les mômes se fichaient pas mal de l’effet que peut produire un pantalon propre qu’on traîne goulument dans la boue), un boulot auquel il ne fallait jamais arriver en retard, qu’il fallait à tout prix éviter de manquer, même en cas de maladie… Bref, il n’y a pas grand chose qui débordait dans ce quotidien, mis à part sa légendaire gentillesse que j’appréciais tant. Alors quand je sentais qu’elle fatiguait un peu (et avec un tel traitement, qui ne le serait pas !), je l’emmenais à la maison. Je faisais exprès ces jours là de ne rien ranger. Je laissais le bordel habituel garder ses quartiers fièrement, et mes affreux souiller à qui mieux mieux tout ce qu’ils pouvaient. Je lui disais : « viens, viens voir comment c’est crado chez moi ! ». Pas par pur masochisme. Mais pour lui montrer combien nos enfants, les miens et les siens, étaient heureux de jouer comme des fous sans se préoccuper de tâches. Pour lui prouver que la vie qui va se passe d’eau de javel et qu’on peut être heureux en assumant ces petits côtés de l’existence qui ne cadrent pas avec le perfectionnisme à tout crin.
Bon. Ça, c’était quand j’allais relativement bien. Mais dès que j’avais l’estime qui flanchait, je me ruais sur l’aspirateur dès qu’une visite pointait le bout de sa critique (supposée et forcément imaginaire). Le censeur intérieur faisait bien son boulot, qui me faisait récurer jusqu’à ce que je finisse exsangue et presque plus capable de servir le repas !!! Comme quoi, on est jamais prophète en son pays (surtout quand le pays s’appelle « mon esprit »)! Alors tout ça pourquoi ? Pour évoquer ce foutu salopard qui nous tient serré dans des griffes acérées: le perfectionnisme. Celui qui nous enlève tout droit à l’erreur, qui nous pousse à fuir l’incongru, le vague, le « légèrement de biais » et le « pas cadré du tout ». L’inconstance et le flou n’ont pas leur place au pays du perfectionnisme. Plus grave encore, le risque. On l’élimine d’emblée dès qu’on franchit la frontière du perfectionnisme qui, comme il n’admet pas la faute, exclus ces sursauts de vivant qui nous assaillent alors qu’on veut se lancer dans de l’inconnu et du non défini. Ce qui est parfait se passe allègrement de défis et d’ambitions. Ou alors l’ambition toute naturelle (enfin, c’est ce que tout le monde prétend) de tout réaliser… parfaitement. Une ambition, ça ? Non, juste un pari impossible. Car dans le monde des fous que nous sommes, perfectionnisme rime tranquillement avec atteignable, possible, normal, fastoche et autres conneries.
Un môme sait de lui-même que ce qui est parfait est simplement mort. Qu’un chien qui ne bave pas, ne jappe jamais, ne se roule pas dans l’herbe et ne court pas après sa queue est juste… mort. Il sait aussi qu’un nounours tout neuf a beaucoup moins d’attraits à ses yeux de gamin en manque de tendresse que celui-là qui pue le chien mouillé et qui a fait toutes les guerres puisqu’il l’a depuis qu’il est né. Sagesse universelle qu’on peine à se rappeler alors qu’on commence un nouveau boulot, qu’on débute dans quelque chose qu’on ne connaît pas du tout. Mais pas du tout.
Petit exemple vécu. J’ai commencé depuis deux semaines des cours de guitare. Je n’y connais absolument RIEN ! Je ne connais même pas le nom de tous ces trucs qu’on voit sur une guitare, je peux à peine désigner le manche et les cordes, ne me demandez pas le reste. Petits pas de bébé pour apprendre à tenir la gratte, à faire des accords, à me tordre le bras et le poignet pour ajuster ma position. À ce propos, je tiens officiellement à souligner la patience et la gentillesse du prof exceptionnel qui s’est collé à la tâche qui consiste à m’enseigner les rudiments de la musique. Il s’appelle Romain et si vous avez besoin de cours à Tours en piano et guitare, faites appel à lui, il est tout simplement extra (j’ai ses coordonnées à disposition pour toute personne intéressée)! Bref, Romain se donne à fond pour que je puisse comprendre quelque chose à ce fatras de théorie solfégique mêlée de postures bizarres et de médiators récalcitrants… Il serait logique, si j’écoutais mon petit perfectionnisme habituel, que j’abandonne le tout. Après tout, j’ai vraiment l’air folle, tordue que je suis sur mon instrument, à tenter de lancer dans l’air, tant bien que mal, des notes qui auraient mieux fait de rester couchées sur les cordes ! Mais non ! Je m’obstine, pied de nez à ce foutu personnage parfait de mon imagination, Fanny la nulle en guitare se lance et… PIRE ! elle aime ça ! Car j’y prends plaisir, encouragée que je suis par mon homme et par Romain, à égrener des notes en les sortant péniblement de leur cosse de sons et en les lançant timidement dans l’air de la pièce. J’adore ça, même si mes doigts souffrent et que mon dos crie de douleur à prendre toutes ces positions improbables.
Voilà, tout est dit. Je me déperfectionne avec bonheur, et me laisse souffler le temps d’apprendre un truc pour lequel j’ai une ignorance totale. Prise de risque. Résultat boiteux mais extrêmement satisfaisant. Je suis parfaite, mais je me soigne. J’arrive parfois, comme ça, à faire craqueler le masque de femme en acier inoxydable. Ça me demande de gros efforts, mais ça arrive parfois, de haute lutte et après un travail titanesque auprès d’un égo qui veut défendre ses prérogatives. Sur ce, je dois reconnaître les bienfaits de l’estime de soi sur une maison en bordel. Une fois qu’on a compris qu’il ne fallait plus dépenser d’énergie pour prétendre avoir une demeure parfaite aux yeux du monde, vient le temps de réaliser que le rangement a aussi ses bienfaits. Et qu’une maison propre, c’est vachement agréable aussi. Alors quand j’ai fait mon pied de nez à ce bonhomme intérieur si perfectionniste , je prends mon aspiro, et je soupire d’aise une fois que tout est nickel. C’est si agréable, après tout 😉
Haha Fanny,
merci pour ce bel éloge à l’imperfection, je reconnais bien ma maison et mon désir de propreté jamais assouvi pour plus de 5 minutes…espèce de cercle vicieux entre wow enfin c’est propre et oh mon dieu, ça me tente pas de ranger/nettoyer (on a autre chose à faire, surtout en sachant que la satisfaction est si éphémère!). ON lâche pas, vaut mieux passer plus de temps de qualité avec nos enfants et avoir des planchers sales et des traineries partout que des enfants malheureux dans une maison propre! xxx
Superbe post, salvateur!
Sur le rangement tout autant que le perfectionnisme tu as tout bon. Le perfectionnisme est une posture psychologique sectaire, aveuglante et déracinante pour nous sapiens. Il nous conduira à des idéologies aussi nauséabondes que le transhumanisme … ou le rêve/cauchemar de créer un “homme nouveau”, transgresser Dieu et réconforter Descartes là haut : nous sommes maîtres de la nature… jusqu’à ce que nous en excluons.