Armel pose les ailes à terre

Armel avait mis toute son énergie, ses espoirs, ses efforts dans ce projet fou. Il vient de terminer un tour du monde en 74 jours et des poussières. Une comète qui laissera dans son sillage des bouts d’étoiles flottant sur les océans qu’il a survolés pendant des semaines. Alors nous, ça nous fait quelque chose. Ben l’a suivi durant tout ce temps, jour après jour. Il se posait sur son épaule par la pensée, admirait le coucher du soleil perché sur la baume de son bolide. Il se rêvait au winch, larguant un ris, avalant l’écoute de GV quelque part au milieu du Pacifique. Armel a dû sentir, à chaque seconde de ce périple, toutes ces pensées qui étaient tournées vers lui. Il nous a fait rêver, même si (je dois l’avouer…) je ne suis pas sûre de compter ce genre de voyage parmi mes projets les plus chers 😉 Il reste que sa victoire d’aujourd’hui, c’est un peu la nôtre aussi. C’est la volonté qui triomphe des éléments. Il fond en larmes en évoquant combien ça a pu être difficile parfois. Et comme je peux le concevoir, ce bout de chemin crevé de solitude, ces heures passées dans l’incertitude de la survie, quand on pense que tout pourrait lâcher et qu’on n’est pas grand chose, au fond. Je me souviens aussi d’avoir parfois pensé, lors de notre voyage en bateau, qu’on pouvait comme ça se faire coucher par une vague, être écrasés par une mer qui n’a cure de nos petites luttes, de nos destins minuscules…

Je nous revois ce soir. Ben nous a appelés au moment fatidique de l’arrivée. Nous étions tous les 5 devant l’écran d’ordinateur, et en même temps sur le pont du bateau, devant le feu d’artifice, avec le bruit des moteurs autour, les cris de la foule et les mouvements de tous les admirateurs sur les embarcations qui l’entouraient. Nous y étions avec lui. Et puis le journaliste l’interroge sur le voyage, la course, les moments difficiles. Armel s’émeut, l’épuisement et le souvenir de tous les moments lui sautent à la gorge et rendent la parole difficile. Enfin, son interlocuteur lui pose la question qui vaut toutes les autres : « Qu’est-ce qui vous a le plus manqué pendant cette course ? ». C’était la seule question qui pouvait compter, avec la victoire. Et la réponse a été évidente, limpide. La seule réponse qu’il est possible de faire à jamais, jusqu’à l’ultime moment de sa mort. La seule chose qui peut nous manquer, loin de tout ? Armel a souri, et s’est tourné vers le bateau qui venait d’arriver près de lui. A bord, ses deux marmots ont jailli sur le pont, et Armel a enfoui son visage dans leurs petits bras. Et moi j’aime cette conclusion simple dans une victoire immense.

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