Une fin de journée d’août 2020…

C’est une fin d’après-midi d’été. Je suis assise sur le sol nu. Un lino vieillot qui a des trous par endroits. La peinture sur les murs est défraîchie, abîmée. Dans la cuisine, le papier peint a des couleurs de vert anis passé, un motif démodé. Je n’ai même pas pris la peine d’ouvrir tous les volets. J’ai le dos au mur. Dans tous les sens du terme. C’est un de ces moments dans l’existence où tout se casse la gueule. Je suis là, par terre, et je pleure, dans la pénombre. Seule. Pour la première fois, seule. Vraiment totalement seule. Quelque chose que je n’ai jamais vraiment connu… Peut-être un peu, vingt ans auparavant, lorsque je m’étais retrouvée sans domicile lors d’une année en Angleterre : une mauvaise organisation en transition de fin de trimestre, j’avais dû chercher une piaule en quelques jours et je dormais chez une copine. Mais à cette époque, je n’étais pas seule, pas vraiment. Là, je suis obligée de considérer le désarroi qui me gagne à respirer avec difficulté dans cet appartement vide que je viens de louer. Il fait trop chaud. Je transpire, je me sens vide, mal, bousculée. Ne sachant plus où me réfugier dans cette vie que je ne connais pas encore. Que j’ai pourtant choisie, sans savoir ce qu’elle pourrait offrir. Je quitte mon mari. Je laisse mes enfants flotter derrière. Je me sens terriblement coupable. Et pourtant, la partie de moi qui a décidé de partir sait que j’étais en train de mourir. Et plus du tout à petits feux… Je me délitais dans cette vie où je n’existais plus.

Je sens le sol inégal sous mes mains, je sens les odeurs de renfermé me lever le cœur. Je perçois dans le ventre cette sensation terrible de manque. Le manque de moi, d’espoir, de certitude. Je sais qu’il fallait changer, mais avec en plus l’annonce récente de ma maladie, le sac est un peu trop lourd à porter. Seule. Je pleure un coup.

Puis je relève le nez. L’apitoiement n’a jamais été trop aidant, je m’en suis souvent rendue compte… Il fallait ce sursaut, à moi de l’assumer à présent. A moi de meubler cette maison neuve, de m’approprier cette nouvelle vie que je veux pour moi. A moi de cultiver l’espoir qui me manque aujourd’hui, un jour après l’autre, comme une petite plante qu’on arrose parce qu’on a besoin de la voir grandir, prendre de l’ampleur, de l’espace… A moi d’écrire le scénario de cette nouvelle vie qui m’attend, une vie où je n’ai plus envie d’être dans l’ombre de quelqu’un, où je veux apprendre coûte que coûte que mon bonheur, il ne tient qu’à moi et que je suis capable de le créer toute seule, justement. J’ignore totalement de quoi sera fait mon futur, ni sur quoi je m’appuierai pour avancer sur ce chemin. A part mes enfants, ma famille retrouvée, quelques amis chers, le reste je ne sais pas. Je ne sais pas non plus comment va se dessiner ma nouvelle carrière. Quand j’y repense, dans le bruit des camions qui passent en bas et menacent de faire péter les vitres de l’appartement, j’aurais vécu en quelques semaines les plus gros stress d’une existence… Changement de lieu de vie, de travail, de situation familiale, deuil d’une santé que je croyais immortelle, j’aurai aussi à vivre le décès d’une personne chère dans les mois qui suivront… Comme si la vie me mettait au défi de me relever après tout ce déballage de difficultés. Comme si j’en étais capable, capable de transformer le plomb en or, la vie brouillée en éther…De toute manière, je n’ai pas le choix. Il faut avancer, recommencer à planter des graines, sourire de nouveau, et embrasser cette vie que j’ai choisie pour moi, apprendre, me tromper, trébucher encore et toujours, me relever encore et toujours… Je sais, de façon diffuse et intuitive, que je vais trouver là une clé fondamentale. Toucher ultimement à cet espace de calme et d’amour que l’on a tous en soi. Que je vais finir par trouver la source de la joie, et que cette dernière est en moi à présent. Tout est à construire, et c’est peut-être là que réside la plus grande liberté. Seule, mais avec moi désormais.

 

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