Les mots s’envolent, les mots se marrent, perdent le fil du sens, ou bien le sens du fil.
Les mots se murmurent, ils vivent des vies à l’ombre de pensées fugaces, ils s’entremêlent et se déchirent inlassablement.
Les mots trahissent, ils s’enfurieusent, s’enhardissent aussi parfois de phrases alambiquées qui veulent tromper ou simplement distraire.
Les mots s’enfilent le long d’émotions fleuries, tels des perles de joie dont on ferait un collier de moments doux.
Les mots caressent, ils se devinent au détour d’un sourire, dans l’arrondi d’une syllabe et dans une douceur subtile de fin d’été.
Les mots se plantent dans le cœur d’une discussion, transpercent soudain l’air et font vibrer la colère en gerbes d’insultes et en gestes tordus.
Les mots disent tout bas ce que l’âme peine à laisser entrevoir, ils se faufilent dans les branches de l’espoir et racontent une histoire d’oiseau que la mémoire a oubliée trop longtemps.
Les mots s’abandonnent, au détour d’une rue, d’un visage et d’un lit défait, ils suivent les méandres d’un drap froissé qui dit tout de l’amour envolé.
Les mots réchauffent, réconfortent autant qu’une étreinte d’ami, qu’une mèche repoussée sur le bord du visage, et qu’une main tendue grande ouverte.
Les mots disent ce que les yeux veulent taire, et taisent ce que le cœur voudrait hurler.
Les mots sentent l’odeur moribonde du tas de charognes que le vent soulève, ils charrient dans un souffle toute l’horreur d’une douleur oubliée, et gueulent soudain la solitude sèche d’un abandon ancien.
Les mots, j’ai appris à les suivre, à les sentir et à les aimer, à en humer les effluves, pour ce qu’ils allument de vivant en moi. Ils tracent d’un trait la relation de moi à toi, et définissent aussi sûrement qu’un geste ce qui vivra ensuite.
Les mots nous survivent, et ils transforment aujourd’hui, en pensant demain dans les odeurs d’hier.