Créativité chérie, je crie ton nom

Elle s’était faufilée dans une forêt dense et impénétrable. Je l’avais poursuivie, courant à perdre haleine à sa suite, convaincue que je la perdais pour toujours. Rétive, elle ne voulait plus rien savoir de moi. Je l’avais vexée, occupée que j’étais à faire ce qu’on me disait, à remplir le temps jusqu’à ce que plus rien ne puisse rentrer dans ma coupe des secondes. Plus rien. Pas la moindre petite miette de temps. Si bien qu’elle avait pris la poudre d’escampette avec un soupir déçu, le laissant flotter longtemps à l’endroit où auparavant elle s’amusait avec moi.

Elle a fichu le camp, et je suis restée seule. Bien seule. Me demandant comment la faire revenir. Mais poursuivant avec un acharnement aveugle mes activités dans tous les sens, tout en me débattant avec des tâches à accomplir qui n’avaient même plus de sens à mes yeux. Je les accomplissais pour les autres. Ces autres qui savaient mieux que moi comment occuper ce temps que j’avais dans les mains. Je les écoutais, d’une oreille distraite, fixant de mes yeux les arbres qui bordaient la forêt par où elle s’était enfuie. Le cœur resté dans ses bras, occupé encore à entendre ses rires qui fusaient lorsqu’on avait trouvé ensemble un jeu qui nous enthousiasmait.

Puis j’ai décidé que c’était assez. J’ai rendu le tablier, les armes, les tâches et les outils. J’ai planté là tous ces gens qui savaient pourquoi j’étais là et qui faisaient comme si je l’avais toujours su moi-même. Tous ceux qui ont l’habitude d’avancer dans la vie comme on traîne une brouette sur une plage de sable. Avec difficulté, et ce sentiment du devoir qui n’éblouit qu’eux-mêmes. Je suis partie en courant, légère, pour la rejoindre. Il m’a fallu marcher longtemps. J’ai dû traverser des paysages au ciel bas, fouler des sentiers boueux, rattraper mon indocile qui avait élu domicile au plus profond de sa forêt. C’est là que je l’ai vue. Perchée dans son arbre, et qui me considérait, pensive. Elle est descendue et m’a regardée un long moment. Il s’agissait pour elle de savoir si j’avais changé, si j’étais prête. Elle a dû comprendre que oui. Alors elle m’a prise dans ses bras, et nous sommes parties, toutes les deux. Nous avons trouvé cette maison au bord de la mer, une petite cabane de bois au toit pentu qui fait un triangle qui descend jusqu’au sol. C’est là que nous avons choisi de jouer, toutes les deux. Et ma petite fille intérieure bondit de joie à chaque fois que nous trouvons une nouvelle façon de faire galoper le temps. Celui qui reste et qui désormais nous appartient.

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