L’amour avec un grand A…


On n’a pas toujours la chance de le connaître. On passe parfois une vie sans le toucher du doigt. L’amour, le vrai, celui qui fait battre le cœur bien plus qu’il ne devrait…

 

Le grand amour, celui qui bouge les fondations, avec lequel on se sent de taille à déplacer les montagnes. Je l’ai croisé un jour, il n’y a pas si longtemps. Il était si tendre, cet amour, déguisé en petite histoire passagère. La mascarade n’a pas duré, même si j’ai mis des mois à réaliser ce qui s’était joué là. Je me suis laissée entraîner, mon esprit, mon cœur ne m’appartenaient plus. Je me transportais dans un monde imaginaire où nous étions ensemble, et où tous les obstacles s’annulaient comme par magie. L’amour me mettait au défi de le suivre, et je lui ai tout donné. Je l’ai utilisé pour changer ce que j’avais de plus précieux en moi : l’amour que je me porte. Cet amour de l’autre m’a poussée dans mes retranchements, a déchiré l’enveloppe, brisé les barrières et anéanti les schémas. Ce grand amour m’a mise à nu, sans que je puisse rien faire pour m’en protéger. Il est impossible de se barricader quand il débarque : il demande tout, exige un don total, irrésistible, incontrôlable.

J’ai tenté d’oublier. De m’évader de cette prison mentale et émotionnelle. Rien n’y a fait. J’ai toujours gardé la trace indélébile de l’autre, et cela fait à présent comme une fenêtre dans le cœur, un endroit par lequel la lumière coule à flot pour éclairer tout ce qui est à l’intérieur. Je laisse cet amour recouvrir de douceur les jours trop longs, et apaiser les moments difficiles. Il est là et son souvenir indique un nord qui ne se perdra jamais et qui continuera de marquer les endroits par où il a consumé des bouts de moi.

Je garde en moi ces histoires inachevées et je suis reconnaissante à la vie de m’avoir fait vivre ces intensités mêlées d’émotions si fortes, si douces qu’elles en étaient indispensables.

 

Mieux vaut aimer d’un amour blessé, que de ne pas avoir aimé du tout…

Une fin de journée d’août 2020…

C’est une fin d’après-midi d’été. Je suis assise sur le sol nu. Un lino vieillot qui a des trous par endroits. La peinture sur les murs est défraîchie, abîmée. Dans la cuisine, le papier peint a des couleurs de vert anis passé, un motif démodé. Je n’ai même pas pris la peine d’ouvrir tous les volets. J’ai le dos au mur. Dans tous les sens du terme. C’est un de ces moments dans l’existence où tout se casse la gueule. Je suis là, par terre, et je pleure, dans la pénombre. Seule. Pour la première fois, seule. Vraiment totalement seule. Quelque chose que je n’ai jamais vraiment connu… Peut-être un peu, vingt ans auparavant, lorsque je m’étais retrouvée sans domicile lors d’une année en Angleterre : une mauvaise organisation en transition de fin de trimestre, j’avais dû chercher une piaule en quelques jours et je dormais chez une copine. Mais à cette époque, je n’étais pas seule, pas vraiment. Là, je suis obligée de considérer le désarroi qui me gagne à respirer avec difficulté dans cet appartement vide que je viens de louer. Il fait trop chaud. Je transpire, je me sens vide, mal, bousculée. Ne sachant plus où me réfugier dans cette vie que je ne connais pas encore. Que j’ai pourtant choisie, sans savoir ce qu’elle pourrait offrir. Je quitte mon mari. Je laisse mes enfants flotter derrière. Je me sens terriblement coupable. Et pourtant, la partie de moi qui a décidé de partir sait que j’étais en train de mourir. Et plus du tout à petits feux… Je me délitais dans cette vie où je n’existais plus.

Je sens le sol inégal sous mes mains, je sens les odeurs de renfermé me lever le cœur. Je perçois dans le ventre cette sensation terrible de manque. Le manque de moi, d’espoir, de certitude. Je sais qu’il fallait changer, mais avec en plus l’annonce récente de ma maladie, le sac est un peu trop lourd à porter. Seule. Je pleure un coup.

Puis je relève le nez. L’apitoiement n’a jamais été trop aidant, je m’en suis souvent rendue compte… Il fallait ce sursaut, à moi de l’assumer à présent. A moi de meubler cette maison neuve, de m’approprier cette nouvelle vie que je veux pour moi. A moi de cultiver l’espoir qui me manque aujourd’hui, un jour après l’autre, comme une petite plante qu’on arrose parce qu’on a besoin de la voir grandir, prendre de l’ampleur, de l’espace… A moi d’écrire le scénario de cette nouvelle vie qui m’attend, une vie où je n’ai plus envie d’être dans l’ombre de quelqu’un, où je veux apprendre coûte que coûte que mon bonheur, il ne tient qu’à moi et que je suis capable de le créer toute seule, justement. J’ignore totalement de quoi sera fait mon futur, ni sur quoi je m’appuierai pour avancer sur ce chemin. A part mes enfants, ma famille retrouvée, quelques amis chers, le reste je ne sais pas. Je ne sais pas non plus comment va se dessiner ma nouvelle carrière. Quand j’y repense, dans le bruit des camions qui passent en bas et menacent de faire péter les vitres de l’appartement, j’aurais vécu en quelques semaines les plus gros stress d’une existence… Changement de lieu de vie, de travail, de situation familiale, deuil d’une santé que je croyais immortelle, j’aurai aussi à vivre le décès d’une personne chère dans les mois qui suivront… Comme si la vie me mettait au défi de me relever après tout ce déballage de difficultés. Comme si j’en étais capable, capable de transformer le plomb en or, la vie brouillée en éther…De toute manière, je n’ai pas le choix. Il faut avancer, recommencer à planter des graines, sourire de nouveau, et embrasser cette vie que j’ai choisie pour moi, apprendre, me tromper, trébucher encore et toujours, me relever encore et toujours… Je sais, de façon diffuse et intuitive, que je vais trouver là une clé fondamentale. Toucher ultimement à cet espace de calme et d’amour que l’on a tous en soi. Que je vais finir par trouver la source de la joie, et que cette dernière est en moi à présent. Tout est à construire, et c’est peut-être là que réside la plus grande liberté. Seule, mais avec moi désormais.

 

Dédicaces !

Pour la sortie de mes 2 derniers livres, voici les dates pour lesquelles je ferai des dédicaces dans la Loire:

Samedi 11 septembre à Boën sur Lignon de 09:30 à 18:00

Samedi 25 septembre à la Librairie Forum de Saint Etienne à partir de 14h

Dimanche 3 octobre au Salon des Ecrivains de Chevinay à la Salle des Fêtes, de 10h à 18h

Au plaisir de vous y rencontrer !

A vos rêves… Prêts ? Partez !

Dernier né ! On a vu sa petite tête velue sortir cette semaine !!! Mon dernier bébé est tout beau, prêt à s’envoler avec vous pour des aventures incroyables au bout de vos rêves !

Je vous invite à passer le commander en librairie ou l’acheter directement si vous le trouvez en rayon. Voici un moyen de repenser sa vie, de s’offrir un aller simple vers ses rêves, de ‘inventer une petite reconversion si votre quotidien vous semble d’un coup trop étriqué…

 

Tricots, Flingues et Bras Cassés sort en librairie !

Vous avez peut-être envie, dans ces temps troublés, de vous marrer un peu, de lâcher du lest, de suivre une histoire rigolote avec des personnages déjantés… Je vous invite à mettre la main sur mon roman Tricots, Flingues et Bras Cassés: une petite galerie de personnages truculents, une intrigue qui vous emmènera des rivages de Bretagne aux montagnes des Pyrénées, un roman pour prendre l’air et rire un coup, histoire de se laisser porter dans un univers où les méchants sont stupides et les héros ressemblent à des mamies spécialistes en arts martiaux…

Le livre sort aux Editions Du Loir le 24 février: TOUS À VOS LIBRAIRES !!!!

Sirsasana ou la résilience en mouvement

Il existe une posture de yoga que j’aime beaucoup. Pour le défi physique qu’elle présente, mais aussi pour la symbolique qu’elle apporte. La posture sur la tête, aussi appelée Sirsasana en sanskrit, est un pied de nez à la gravité, et on l’appelle aussi la posture de la peur. Pourquoi ? Parce qu’une fois qu’on a développé la musculature adéquate pour la réaliser, le plus grand obstacle à sa réalisation réside entre les deux oreilles ! Il s’agit de s’autoriser à monter dans cette posture délicate, et surtout… à tomber ! C’est la raison pour laquelle, lorsque je l’enseignais, j’encourageais les étudiants à apprendre à « rater » le mouvement et à tomber, sans se blesser, au sol.

Je trouve dans cette posture une très belle métaphore de ce que je vis actuellement. L’année 2020 qui s’achève m’a malmenée d’un bout à l’autre. Comme en yoga, la vie m’a poussée à regarder mon existence la tête à l’envers, m’invitant du même mouvement à rester à l’équilibre, quels que soient les événements qui viendraient se manifester. J’ai résisté, lutté, je me suis débattue, je suis passée au travers, j’ai gueulé aussi, j’ai maudit et j’ai aussi accepté. Le divorce, la maladie, le déménagement, le changement de boulot et les deuils, nombreux, l’instabilité émotionnelle et financière, les amis qui tournent le dos et ceux qui entrent dans ma vie. Tout ce bouleversement ramassé sur quelques mois m’a véritablement mis la tête à l’envers. Voici en quelques mots ce que j’ai appris au fil des jours qui ont parfois paru très, très longs…

 

J’ai appris que, peu importent les circonstances, rechercher qui je suis était la plus importante des quêtes.

J’ai appris que l’amour, et lui seul, était ce qui valait la peine d’être conquis, intégré, accepté et accueilli. Que l’amour était en moi, et que je n’avais plus à le rechercher chez les autres : il existe partout et survit à tout, pour peu qu’on sache le voir dans son omniprésence.

J’ai appris que les autres n’étaient que le reflet de qui j’étais et qu’à ce titre, je devais changer mon état intérieur pour voir les changements apparaître chez les autres. L’amour que je me porte n’est pas conditionné par ceux que je côtoie : il en est la manifestation.

J’ai appris qu’il était possible d’être heureux quelles que soient les circonstances qui s’imposaient à moi. Et qu’il ne tenait qu’à moi d’en faire des événements favorables, par ma façon de les accueillir. Car en y pensant bien, une chose arrive et ne peut être vue positivement ou négativement que si l’on se met à la juger comme telle. En l’acceptant comme elle se manifeste, je m’autorise à l’accueillir et à en faire, ultimement, une occasion de grandir et une opportunité.

J’ai appris que le manque de quelqu’un, le désir d’attirer des personnes ou d’en éloigner d’autres, n’étaient que des réactions à la peur. Si je décide de faire venir l’amour et de le cultiver en moi, il n’y a plus cette peur, pas plus que ce besoin d’attirer ou d’éloigner. J’ai cette conviction désormais que toutes les belles choses que j’anticipe pour moi-même arriveront, quoi qu’il arrive, et sans effort, dans la mesure où c’est l’amour qui guide mes actes, et non la peur. Plus besoin de me protéger ou de trépigner en attendant avec impatience que ce que je souhaite plus que tout arrive. Cela va finir par arriver.

J’ai appris que l’intention et le mouvement du cœur entraînent des manifestations incroyables, et qu’il faut impérativement prêter la plus grande attention à ce que l’on pense et ce que l’on dit. Une énergie puissante est contenue dans ces pensées et ces mots, qu’il ne faut pas prendre à la légère. Dire aux personnes que l’on aime qu’on les aime relève presque d’un devoir et d’une liberté que je m’autorise en permanence désormais. Et m’interdire de médire est un objectif indispensable.

J’ai appris qu’il est vital pour moi à présent de prendre mes rêves pour des réalités, et de ne plus laisser le moindre obstacle m’arrêter. Ma vie est décidément trop courte pour que je la passe encore à m’appesantir sur le passé, sur mes erreurs ou mes échecs, ou à vouloir des choses qui ne me correspondent pas. A chaque minute, je reste éblouie par les beautés que je perçois partout et dans toutes les personnes que je croise. Je ne veux plus me concentrer sur le négatif, mais laisser le positif éclairer le chemin.

J’ai appris que les personnes que j’aimais étaient comme des cadeaux que je déballe chaque jour avec bonheur. Et les surprises sont constamment en train d’apparaître, je m’en réjouis jour après jour.

 

Je sais que les difficultés que la vie apporte semblent parfois insurmontables. En réalité, rien de ce qui nous arrive ne dépasse notre capacité à les gérer. La vie est ainsi faite qu’elle nous permet de grandir avec des « présents » que nous pouvons choisir de juger, auxquels nous pouvons résister de toutes nos forces. Nous pouvons aussi choisir de les accueillir comme tels, et d’ouvrir nos bras à l’expérience proposée, pour devenir de meilleures personnes.

Au bout de cette longue année, j’ai un sentiment de gratitude immense pour toutes les personnes que j’ai rencontrées, toutes celles qui m’ont soutenue de manière inconditionnelles, toutes celles qui m’ont enseigné, à leur insu souvent, mais toujours avec amour. Que chacun(e) se sente remercié à la juste mesure de ce qu’il(elle) a donné, qu’il(elle) en soit conscient ou non…

 

En cette fin d’année, je vous souhaite de devenir, chacun d’entre vous, la meilleure version de vous-même. Des personnes aimantes et qui savent s’apporter à elles-mêmes l’amour dont elles ont toujours manifesté le besoin. Cet amour-là, une fois que vous l’avez manifesté pour vous, pourra rayonner bien au-delà de vous et faire de ce monde un bien plus bel endroit pour vivre…

 

Je vous laisse l’adresse d’un site (en anglais…) qui m’a bien aidée à orienter ma barque sur le flot tumultueux de cette année : https://www.iam-love.co/

Le chapitre coupé

Illustration Félicie Krikler

Allons… Un peu de poésie dans ce monde de brutes ! Je vous laisse sur un chapitre que j’ai dû supprimer pour la version finale de mon livre à paraître cet été: Tricots, Flingues et Bras Cassés. Ce petit bout d’histoire ne cadrait pas avec le rythme assez soutenu de mon intrigue, alors je le publie ici pour vous. J’espère que la petite promenade dans les Pyrénées vous changera d’air, l’espace de quelques instants 🙂

Pour resituer un peu le contexte, Charlotte est une petite fille en cavale avec Ulrich, une sorte de vieux géant qui veut la protéger et échapper à 2 andouilles aussi bêtes que méchantes qui les poursuivent. Ils débarquent à Cambo les Bains chez Gabin, un ami d’e Jeremias, pote d’Ulrich, pour se planquer quelques heures avant de reprendre la route…

Cambo les Bains, la maison de Gabin

Il était déjà près de minuit. Après le départ de Jeremias, la petite avait dormi plusieurs heures dans le petit lit, tandis qu’Ulrich veillait à ses côtés sur sa chaise en bois, guettant par la fenêtre les allées et venues des voisins. Jeremias avait fermé son café depuis quelques heures, et avait offert un repas digne de ce nom à ses invités. Ils s’étaient installés tous les trois dans la pièce étriquée qui tenait lieu de cuisine et était éclairée au néon, ce qui diffusait un éclairage déprimant sur le repas que leur avait servi leur hôte. Ragoût d’axoa et un lukinke du coin, que Charlotte reconnut comme un saucisson sec dont elle ne raffola pas trop. Le piment d’Espelette du plat lui fit cracher des flammes qui l’empêchèrent de manger par la suite. De toute manière, elle ne fut pas capable d’avaler grand-chose. La fillette se demandait surtout à quel endroit Jeremias comptait les emmener, puisque c’était ce qu’il avait promis de faire. Elle restait étonnamment silencieuse, laissant les deux hommes évoquer leurs vies et ces étapes qu’ils avaient manquées sur les vingt cinq dernières années.

Jeremias avait eu trois enfants avec une femme qui l’avait quitté trois ans auparavant pour aller vivre avec un saltimbanque, un acteur saisonnier qui gagnait à peine de quoi nourrir les trois mômes. Bien sûr, le père esseulé se faisait un sang d’encre pour sa progéniture, et envoyait de temps en temps un de ses amis chasseurs faire un petit tour vers Peyrehorade, où ils habitaient désormais, histoire de vérifier que tout se passait à peu près bien. Son ex-femme gardait de bonnes relations avec lui, mais refusait que ce dernier les voie autrement que durant les vacances. Jeremias se consolait en se disant qu’au moindre écart de son rival, il débarquerait avec sa bande de copains pour aller faire quelques jolis motifs sur la peau au bonhomme, à coups de fusils bien ajustés.

Charlotte apprit aussi qu’Ulrich avait fait plusieurs métiers qui l’avaient fait voyager aux quatre coins du monde. Il avait roulé sa bosse longtemps jusqu’à ce qu’il finisse par se poser dans sa petite cabane isolée de Sables d’Or les Pins.

Jeremias entreprit de nettoyer la cuisine avec l’aide de son ami et décréta qu’il était temps de lever le camp. Son ami Gabin attendait les fugitifs dans sa maison de Cambo les Bains, et il était l’heure de le retrouver. Le barman enfila une grosse veste de velours vert foncé, et attrapa près du comptoir du café les clés de sa voiture. Ulrich prit la petite par la main et tous les deux s’engouffrèrent dans la voiture de leur hôte. Charlotte mourrait de froid dans la petite auto et serrait contre elle son petit manteau. Ulrich s’en rendit compte et la couvrit de sa propre veste. Il n’ouvrait pas la bouche, et la petite le sentait concentré, un brin anxieux. Elle se taisait également, sentant que l’heure n’était clairement pas au bavardage, et elle était de toute façon trop fatiguée pour penser à quoi que ce soit. Le trajet dura près d’une demi-heure. Afin de s’assurer qu’ils n’étaient pas suivis, Jeremias avait rallongé la sauce et pris quelques détours. Ils quittèrent Hasparren rapidement, et après Espelette, Jeremias bifurqua sur la droite pour prendre une route secondaire. Après quelques minutes, il emprunta un chemin pierreux qui fit cahoter la voiture d’Ulrich d’une façon désagréable, et ils parvinrent après un kilomètre à une petite maison plantée au milieu de ce qui ressemblait à un immense domaine.

Lorsque Charlotte ouvrit les yeux le lendemain matin, des chants d’oiseaux emplissaient tout l’espace de la chambre. Elle se tira de la chaleur d’une couette moelleuse d’un saut sur le parquet, et se faufila à l’étage en dessous pour explorer le coin. Elle avait enfilé au passage la veste épaisse qu’Ulrich lui avait prêtée la veille, et elle avait aux pieds les chaussettes de la tenue qu’elle portait depuis quelques jours. Il allait falloir s’équiper en nouveaux vêtements, mais cela attendrait. Elle était lève-tôt, par opposition à tous les adultes de sa connaissance, et fût surprise de découvrir que leur hôte était déjà dans la cuisine. L’homme, qui les avait accueillis la nuit précédente était en train de pétrir une pâte qu’il écrasait à présent avec le plat de la main. Près de lui, un énorme chien se tenait assis, la tête haute et le regard digne. Il avait une stature qui rappelait l’ours et le lion à la fois, devait bien faire cinquante kilos, et sa gueule énorme était ouverte pour laisser une langue interminable pendouiller lamentablement. En la voyant entrer, l’animal se précipita sur elle. La petite fille eut un sursaut de peur devant l’imposante bête avant de se mettre à caresser sa fourrure noire et blanche quand elle le vit sentir ses vêtements, sa queue battant l’air tant il semblait heureux de l’accueillir.

Elle se glissa ensuite sur le banc qui longeait la grande table en bois où le prénommé Gabin était en train d’officier. Un feu crépitait dans la cheminée proche, et l’homme la regarda en souriant des yeux avant de se concentrer de nouveau sur son pétrissage. Il devait avoir dans la cinquantaine, les épaules larges et le corps assez trapu. Un visage avenant marqué de fines rides qui lui dessinaient un regard bienveillant sur des yeux d’un bleu très clair. Ses mains imposantes effectuaient des gestes étonnamment précis, que la petite prit plaisir à observer durant quelques minutes.

Finalement, l’homme la regarda et expliqua:

– Le chien s’appelle Aldo. C’est un mâtin des Pyrénées. Il est adorable avec les enfants, tu sais. Et puis c’est un véritable amateur de saucisson ! Tu es bien matinale, jeune fille, ajouta-t-il après un moment.

– Chez mon père, je suis toujours la première levée. C’est moi qui prépare le café pour mon précepteur. J’aime bien l’odeur. Mais je déteste le boire. Et vous, vous aimez le café ?

L’homme hocha la tête, et promena de nouveau son regard lumineux sur elle une poignée de secondes.

– Pourrais-tu me donner un peu de farine, si tu as les mains propres ?

La petite passa sa main sur la tête au pelage soyeux du gros Aldo, puis sauta du banc, fila vers l’évier pour se laver soigneusement les mains, avant de revenir vers la table pour prendre une bonne poignée de farine dans une boîte en métal. Elle dispersa un petit nuage blanc au-dessus du tas que Gabin lui indiqua du menton. Celui-ci mélangea la farine à la boule qu’il était en train de travailler, et demanda :

– Pourquoi as-tu un précepteur ?

– Mon père, il n’a jamais le temps de s’occuper de moi. Et il dit qu’à l’école, on n’apprend que des idioties. Alors il y a un précepteur à la maison, pour m’enseigner tout ce qu’il faut savoir. C’est votre métier, boulanger ? demanda-t-elle après s’être assise de nouveau, les mains blanches de farine.

Elle s’était agenouillée sur le banc, et avait les bras posés à plat sur la table pour mieux observer les gestes de Gabin.

L’autre continuait à pétrir sa pâte lentement et répondit laconiquement :

– Non. Ce n’est pas mon métier.

– Alors c’est quoi ? insista la petite en frappant ses mains l’une contre l’autre.

– Ce que je fais n’a pas de nom.

– Pourquoi ?

– Parce que j’exerce un travail qui n’existe nulle part ailleurs.

– Mais c’est quoi, alors ? interrogea Charlotte, intriguée. Vous êtes dresseur d’ours-chien ? Fabricant de sculptures en pain ?

Elle regardait en effet l’homme former un visage avec des bourrelets de pâte qu’il assemblait avec un certain talent. À l’évocation de ces métiers incongrus, il sourit et leva le nez pour la regarder :

– Je te raconte ce que je fais, et toi, tu vas trouver un nom pour ce métier là, d’accord ?

Charlotte rosit de plaisir et plissa les yeux, concentrée, en hochant la tête. Elle se pinça brièvement les lèvres, et attendit en ne quittant pas des yeux son interlocuteur. Il commença alors doucement à parler, d’une voix de basse qui caressait l’air :

– Il y a très longtemps, je me suis marié. Lila, c’était le prénom de ma femme. Un sacré personnage. Une femme très vive, tu vois, très gaie, et qui adorait les fleurs. Alors moi, comme j’étais terriblement amoureux d’elle, je lui achetais des tas de fleurs, tout le temps. Mais pas des fleurs coupées, tu vois, des vraies fleurs, en pot, des vivantes.

Charlotte hocha la tête gravement, elle comprenait. En même temps qu’il parlait, Gabin avait finalement fait une boule de la pâte qu’il avait transformée en visage, et s’était remis à la pétrir avec lenteur.

– Nous avons eu un fils, Dorian. Et puis on a acheté cette maison, à cause du jardin. Parce que tu penses bien qu’à force d’acheter des fleurs en pot, il avait fallu leur trouver une place, et notre petit appartement était devenu une vraie serre, alors on avait à peine de quoi s’asseoir, entre les géraniums, les lys et les gardénias !

La fillette approuva de la tête.

– Du coup, Lila avait ses fleurs fraîches, qu’elle venait sentir tous les matins, et Dorian avait un bel espace pour jouer.

– Et toi, tu faisais quoi ?

Gabin leva la tête et plissa les yeux dans un sourire.

– J’y viens, ma petite curieuse. J’y viens. À l’époque, j’avais un atelier de menuiserie. On y fabriquait de beaux meubles, des étagères…

– Et des armoires ?

– Des armoires aussi, en effet. Mais ça m’obligeait à être souvent sur la route, parce que l’atelier marchait bien, et il fallait vendre. Les gars qui travaillaient avec moi, qui faisaient les meubles, ils bossaient bien, alors les commandes étaient nombreuses, tu vois ?

Elle fit oui de la tête et finit par s’asseoir sur le banc, les coudes douloureux. Le chien vint poser son museau sur ses genoux et elle caressait le poil soyeux de sa tête.

– Lila aimait tellement les fleurs qu’elle avait monté une petite entreprise de fleuriste. Elle allait vendre ses fleurs sur les marchés, et elle se déplaçait beaucoup chaque fin de semaine. Et un jour, en rentrant du marché, elle a eu un accident. Le temps était horrible, du vent, de la pluie verglacée, et une visibilité très mauvaise à cause d’un brouillard qui flottait, très bas et très épais. Elle a fait une sortie de route, et ça a été terminé.

– Terminé ? demanda Charlotte en frissonnant.

– Elle est morte sur le coup, tu vois.

La petite serra les pans de la veste d’Ulrich autour d’elle, mortifiée.

– C’est une vieille histoire, tu sais. Elle est triste, mais cela fait bien longtemps. Et le temps est un malin. Il laisse tomber de petites gouttes d’oubli sur le cœur, et ça aide à vivre quand on a beaucoup aimé quelqu’un qu’on a perdu.

– Des gouttes d’oubli ? reprit la fillette interloquée.

– Oui, c’est un moyen de laisser le cœur battre, même quand on pense qu’il va s’arrêter.

– C’est pratique.

– Très. C’est comme ça que j’en suis venu à inventer mon nouveau métier. Et à m’occuper de Dorian, qui a grandi sans maman.

– Ça a dû être difficile. Moi aussi, j’ai pas de maman, et je trouve ça difficile.

– En effet. Mais Dorian, qui avait sept ans à l’époque, était un enfant solide et joyeux. Un peu comme toi, j’imagine. Et il a finalement poussé bien droit.

– Il est où ?

– Dorian ? Il habite à Toulouse. Il est marié, maintenant, tu sais. Et il a trois enfants.

– Alors t’es grand père, conclut Charlotte.

Gabin acquiesça d’un hochement de tête, et plaça la boule de pâte qu’il venait de former dans un plat qu’il couvrit d’un torchon humide. Se tournant vers son invitée, il lui demanda :

– Chocolat chaud ?

– Oui ! répondit celle-ci avec enthousiasme. Elle mourrait de faim et avait un peu froid. Mais comme le Petit Prince de Saint Ex, elle ne renonçait pas facilement à une réponse une fois qu’elle avait posé une question et demanda de nouveau :

– Mais tu fais quoi, alors ?

Gabin se mit en quête du chocolat en poudre, et entreprit de préparer un chocolat chaud maison en versant du lait dans une casserole. Il expliqua :

– Quand Lila est morte, j’ai eu beaucoup de peine. Et je n’étais plus capable d’aller vendre mes meubles, d’aller voir les clients, ou même de gérer les personnes qui travaillaient sous mes ordres.

– Les menuisiers, comprit Charlotte.

– Les menuisiers. Du coup, je restais là, sans rien faire. J’en étais bien incapable. Et puis Dorian, lui, il ne savait plus comment réagir. Il avait besoin de moi, il était encore petit, mais je n’arrivais pas à me sortir de mon chagrin.

– Tu tournais en rond.

Avec un sourire de biais, Gabin déposa une tasse fumante où flottait une fine couche de mousse chocolatée devant Charlotte. Et tandis qu’elle en dégustait la première gorgée au point de se fabriquer une jolie moustache brune, il continua.

– Un jour, Dorian s’est posté devant mon lit, que je quittais de moins en moins, et il m’a dit : « Papa, faut que tu sortes de là. J’ai besoin de toi. Maman, elle serait jamais restée au lit, tu sais, si tu étais mort. Elle se serait occupée de moi. Et puis de ses fleurs, aussi ». Alors moi, je l’ai regardé et j’ai réalisé qu’il avait raison, ce petit bonhomme.

– Alors t’as fait quoi ?

– Et bien je me suis assis sur le bord du lit. Je l’ai pris dans mes bras, et j’ai essayé de ne pas pleurer. C’était difficile, tu sais. Et puis je lui ai demandé ce qu’elle aurait fait, selon lui, Lila, pour son fils et pour ses fleurs. Et tu sais ce qu’il a répondu ?

Charlotte promena ses boucles brunes de gauche à droite, le bol de chocolat entre les mains.

– Il a dit que sa maman l’aurait embauché pour aller planter des fleurs avec son chagrin.

– Ça veut dire quoi ?

– Qu’elle aurait mis sa tristesse dans la terre. Et ça m’a donné une idée.

– Quoi ? T’as fait des trous partout dans le jardin ?

Gabin se mit à rire et s’assit devant elle, de l’autre côté de la table.

– Oui, si on veut ! Je me suis mis à planter des bulbes. J’en ai planté des dizaines, et au printemps, ça a été une véritable explosion ! Un truc incroyable ! Les gens venaient ici, et ils étaient époustouflés par ce qu’ils voyaient. Ils disaient que j’étais un artiste, alors qu’en fait, j’avais juste mis mon chagrin en fleurs.

– Une bonne idée, approuva Charlotte.

– En effet. Du coup, ça m’a tiré d’une dépression, et tout ça grâce à un garçon gros comme une coccinelle.

– Ça fait pas gros, pour un enfant !

– Bah, il n’était quand même pas si petit ! s’amusa Gabin. C’est vrai qu’il était encore jeune, mais il avait déjà compris des choses importantes !

– Et il t’a aidé à planter les bulbes ?

– Oui, il a lui aussi planté des tas de bulbes, cet automne-là. On passait du temps ensemble, c’était bien. Il me parlait peu, mais je sentais que cela lui faisait autant de bien qu’à moi.

– Et après ?

– Après, le maire est venu me voir. C’était un de mes amis, tu vois. Et puis il m’a demandé si je voulais changer de métier. Et faire ce que je fais depuis, pour les gens du coin.

– C’est quoi ?

– Planter des bulbes pour les gens qui sont vivants et qui veulent se souvenir de leurs morts.

Charlotte ouvrit de grands yeux sans comprendre. Venant à sa rescousse, Gabin expliqua :

– Le maire m’a dit qu’il me prêtait les terrains qui entourent notre maison. Ils appartiennent tous à la commune. Il y en a des hectares comme ça, tout autour. Il savait que je ne pouvais plus faire marcher mon entreprise comme avant, et que j’avais malgré tout besoin de nous faire vivre, Dorian et moi. Alors il m’a proposé de faire pour d’autres ce que j’avais fait pour Lila. Du coup, je me suis mis à offrir mes services aux gens pour créer de petits jardins à la mémoire des personnes qu’ils aimaient et qui étaient décédées.

– T’as planté des tas de bulbes.

– Exact. Et j’ai encore beaucoup de parcelles à couvrir.

– Et les gens, ils viennent voir le jardin, des fois ?

– Oui ! Ils amènent des chaises, des tables même parfois. Certains se réunissent chaque année en mémoire de la personne qu’ils aimaient, d’autres se retrouvent ici les fins de semaine.

– Et les bulbes ? T’as arrêté d’en planter ?

– Pas du tout !

L’homme se leva pour aller préparer quelques tartines. Tout en coupant le pain, il expliqua :

– Les gens veulent parfois changer les fleurs de leur jardin, alors je refais un plan pour mettre des variétés un peu différentes. Et puis après quelques mois, j’ai fini par reprendre la menuiserie. Du coup, mes salariés se sont mis au mobilier de jardin, et mes clients achètent de quoi se faire un joli petit coin. Il y en a qui considèrent que cet endroit est leur jardin, et ils viennent le soir parfois, quand il fait beau, pour manger et se reposer.

Charlotte croqua dans une tartine qu’elle venait de beurrer avec un plaisir évident, et s’exclama finalement :

– Ch’est génial ! Comme ça, y a des gens tout le temps ichi !

– Exact ! Mais là, tu vois, comme tu es en cavale avec ton ami Ulrich, j’ai décidé de fermer le jardin quelques jours, le temps que vous puissiez vous cacher sans être ennuyé.

La fillette ne répondit pas. Elle finit de mâcher, puis regarda Gabin et dit :

– Alors ce sera « chantegrin ».

– Quoi, chantegrin ?

– Ben le nom du métier que tu fais. C’est pour faire chanter les chagrins.

Printemps

Aujourd’hui est un jour spécial. J’ai décidé, avec mon mari et un de mes fils, de faire un jeûne de 36h. Pas grand chose, mais un petit geste pour mon corps et mon cœur, qui ont terriblement besoin de ce repos. Et moi, infatigablement branchée sur le mouvement perpétuel, j’ai décrété un jour de pause total ! En cette période de confinement, voilà qui tombe à pic… C’est donc un mouvement vers l’intérieur. Et la journée démarre avec ma séance d’écriture quotidienne, agrémentée de tisanes variées : gingembre frais et thé vert, romarin et thym du jardin… A 10h, séance d’hypnose en visio avec ma coach préférée, hypnothérapeute de talent, ainsi que 2 autres participantes. Un moment fort autour de l’animal totem, et j’ai trouvé le mien !

Et puis cette découverte d’une femme au parcours étonnant, grâce à mon fils Sacha qui m’a montré une vidéo que je partage ici avec vous : https://www.youtube.com/watch?v=-wFsYY71wyk. Cette femme est un peu une fée, et nous rêvons à ses côtés de ces étendues immaculées du Nord de la Suède où la neige est le paysage de la moitié de l’année… Sa vivacité et le naturel avec lequel elle filme sa vie me font l’effet d’un bain chaud un jour de tempête, c’est reposant et surprenant comme ça fait du bien !

 

Je me suis lovée sous le prunus, et au-dessus de ma tête, un couple de tourterelles travaille à la journée longue à la construction d’un nid douillet pour les petits à venir… C’est épatant de les regarder faire sans discontinuer, ce petit manège en vue de préparer la venue de la descendance… Les mois qui viennent de se dérouler ont pour moi été parmi les plus difficiles de mon existence. J’apprends beaucoup, je traverse ce tumulte avec une conviction profonde : celle que la vie est et sera toujours la plus forte, que sa bienveillance m’encourage à dépasser les peurs et à aller au bout de ce que j’ai besoin de faire sortir. Un accouchement attendu et douloureux, qui me permet de délaisser sur le bord du chemin des pans du passé qui m’empêchaient d’avancer vers moi-même. Ce qui m’aide à placer toujours un pied devant l’autre est cette certitude de faire ce que je dois faire et d’être sincère avec moi-même.

Jour de jeûne, c’est jour de communion avec soi. C’est porte ouverte décidée vers l’intérieur, sans culpabilité et sans faux semblants. C’est la conscience profonde de ce qui vit en soi, les sens en éveil, et la conviction de faire du bien à son corps par ce repos choisi. Et puis vu que je passe environ 1h30 à 2h par jour (si ce n’est plus) à cuisiner, c’est un VRAI repos aujourd’hui ! Même si j’adore cuisiner, un jour comme celui-ci me repose, sous les oiseaux et dans le soleil. Les tourterelles n’ont pas peur de moi et s’approchent, elles sont un peu comme des copines qui viennent faire leurs petites affaires tranquillement. Je partage avec vous ces moments de repos et de calme, pour que cela vous invite à faire de même, peut-être, à l’endroit où vous vous trouvez sur la planète 😉

Et si… tout était possible ?

Je ne sais pas pour vous, mais moi, il me vient des pensées très philosophiques depuis le début de ce confinement. Voici un petit tour d’horizon de ces réflexions qui m’effleurent le coin de la pensée, jour après jour…

 

Tout s’est arrêté dans le pays, dans de nombreux pays du monde. Un événement extra-ordinaire, auquel personne ne s’attendait. On serinait aux politiques et aux citoyens, depuis longtemps, qu’il fallait réduire les émissions de carbone, diminuer l’usage de la voiture, cesser de consommer à tout va, respecter la nature et la laisser plus libre, arrêter l’expansion des villes et améliorer la qualité de l’air, permettre davantage de liens entre les gens et de solidarité… Mon appétence naturelle pour la résilience et tout ce qui s’en approche m’a mise sur le même chemin pour voir, dans cette crise sans précédent, un moteur de changement formidable.

Car voyons dans le détail ce que le virus, outre malheureusement les morts, a apporté :

Je regarde par la fenêtre, et je vois beaucoup plus d’oiseaux que d’habitude. L’air que je respire est sain. Dans le ciel, plus une trace : les avions ont cessé de voler, le bleu est magnifiquement uniforme. Avec nos voisins, nous nous rencontrons et nous discutons (de loin). La voiture, je ne l’utilise que pour aller faire quelques courses. Même si je n’étais pas une adepte des magasins, je n’y mets plus les pieds du tout. Je prends des nouvelles des gens que j’aime (j’en ai enfin le temps) et avec les voisins, on s’organise entre nous pour savoir qui a besoin de quoi. Je prends du temps pour faire du sport, préparer de bons petits repas, prendre soin des gens que j’aime et, surtout, lire, écrire ! Faire des tâches qui attendaient depuis des mois et jardiner un peu.

Ailleurs, j’observe aussi des choses magiques. On voit les animaux sauvages revenir près des villes. L’air est plus pur et les constructions à tout va se sont temporairement arrêtées. Des gens se montrent généreux, proposant aide, soutien et appartements aux soignants, d’autres qui tentent de faire rire leurs congénères avec des vidéos, des jeux, des apéros fenêtre… Certains proposent leurs services pour nourrir les personnes âgées, ressentent le besoin d’être attentif à l’autre et de se sentir utile. Et puis on prête enfin attention à des professions qui étaient en grande souffrance et qui connaissaient des taux de suicide inédits, faute de soutien et de regards positifs : les soignants, les agriculteurs, les policiers… Ceux-là sont les vrais héros des moments que nous vivons et sont finalement reconnus pour l’utilité indéniable qu’ils ont dans nos sociétés. D’où viennent donc ces manifestations ? J’ai tendance à penser, à l’instar d’Isabelle Filliozat, que la joie naît du déséquilibre, l’échec, l’épreuve, la permettent plus sûrement que quand « tout va bien ».  Sans doute, un de ces moments qualifiés de ‘temps de guerre’ nous permet de dépasser nos limites, d’aller chercher le meilleur (parfois le pire…) en nous, et d’allumer les flammes intérieures qui nous font rechercher nos valeurs fondatrices, celles que l’on oublie parfois au gré d’un quotidien confortable mais stérile. Là encore, Filliozat éclaire le chemin : La sécurité est un facteur de confort, pas de joie. Et si chacun s’interroge sur la pérennité du mouvement lancé par le virus, sur notre capacité à tous à repenser profondément le système malade qui nous a conduit à cette époque bizarre où l’entreprise est devenue le berceau de la souffrance pour beaucoup, où la nature disparaît pour faire émerger des usines qui nous rendent malades et où le bonheur, recherché partout, n’a jamais été aussi lointain, il est temps de se poser pour savoir comment trouver les nouvelles clés.

Car cette période passionnante qui fait naître ce qui émergeait déjà avec les mouvements écolos-conscients pose de vraies questions qui, faute de trouver des réponses adéquates, nous mettrons face à des mécanismes de disparitions massives. Celles d’espèces animales, végétales, mais aussi humaines… J’invite donc chacun à profiter de ces instants de pause pour réfléchir posément à de nouvelles façons de concevoir sa vie. A accepter d’y intégrer une dose de risque qui sera indispensable pour faire intervenir le changement sain d’une société qui se repense. Il s’agira de trouver des voies différentes, d’inventer des solutions novatrices et de cultiver des attitudes fécondes. Gardons ce que le covid nous apporte de bon et d’utile, et mettons tout cela au service d’un monde où le bonheur sera plus accessible et plus facile à cultiver, partout sur la planète.

 

Pour vous inspirer un peu, je vous invite à vous délecter du film documentaire drôle, émouvant et délicieux Tout est possible (The biggest little farm, 2018). Et pour conclure, voici une petite histoire citée par Sogyal Rinpoché dans son Livre Tibétain de la Vie et de la Mort » et écrite par Portia Nelson:

 

Je marche dans la rue.
Sur le trottoir, il y a un grand trou.
Je tombe dans le trou.
Je suis perdu … désespéré.
Ce n’est pas ma faute.
Cela me prend une éternité pour en sortir.

 

Je marche dans la même rue.
Sur le trottoir, il y a un grand trou.
Je prétends que je ne le vois pas.
Je retombe encore dedans.
Je n’arrive pas à croire que je me retrouve de nouveau dans ce trou.
Mais ce n’est pas ma faute.
Et de nouveau, cela me prend longtemps pour en sortir.

 

Je marche dans la même rue.
Sur le trottoir, il y a un grand trou.
Je vois le trou.
Je tombe encore dedans. C’est devenu une habitude.
Mes yeux sont grands ouverts.
Je sais très bien où je suis.
C’est ma faute.

J’en sors rapidement.

 

Je marche dans la même rue.
Sur le trottoir, il y a un grand trou.
Je le contourne.

 

Je marche dans une autre rue.

Poème « Autobiographie en cinq actes », de Portia Nelson