Sainte Anne la belle

Tout de même. Sainte Anne est notre mouillage favori en Martinique, et je ne peux passer à côté d’une petite description tant, à force d’y vivre, nous arrivons à déceler une foule de détails intéressants…

Déjà, Sainte Anne le matin a ses petites habitudes. On entend d’abord les coqs qui, à l’aube, entonnent leurs chants quotidiens avec brio et inspiration. Ces animaux, qu’on retrouve dans presque toutes les îles des Caraïbes, se sentent investis d’une mission, qui est de réveiller tout le monde en s’égosillant dès 5h. Comme si sans eux, la vie ne démarrerait pas ! Le plus drôle est que certains sont programmés pour chanter… au milieu de la nuit ! Mais ceux-là ont été déréglés et on a pas encore trouvé d’horloger compétent pour réparer ce type de défaut… Après les coqs, le chasseur de feuilles de 5h30 débarque. Il est armé de sa souffleuse portative sur le dos, et recherche avec une férocité peu commune la moindre feuille qui traîne. Bon, en pleine saison des pluies, alors que les arbres chérissent leurs ornements verts comme la prunelle des yeux qu’ils n’ont pas, ce type de chasse est relativement aisée et limité. Mais quand même, le chasseur de feuille local y trouve son compte et poursuit sa mission secrète chaque jour que Dieu fait. Pour accompagner ce besogneux, les croyants arrivent alors. Et dès 6h, on entend certains jours s’envoler depuis la porte de la petite église du village des chants chrétiens légers comme des papillons. Les gens d’ici sont en effet très impliqués dans la vie de l’église, comme en témoignait cette manifestation de femmes samedi dernier. Elles avaient passé la journée à chanter ensemble, à défiler dans les rues en distribuant des tracts sur la réponse à de grandes questions de l’humanité. Une de ces femmes avait aussi harangué longuement la « foule » d’une dizaine de femmes qui l’écoutaient avec une attention remarquable. On entendait de loin les paroles évoquant une religion teintée de croyances qui rappelaient les pratiques africaines. Elle parlait ainsi de ce guérisseur qui lui avait avoué qu’elle avait des dons de voyante et exultait en exprimant sa joie de vivre dans l’amour de Dieu. Il émanait de ce groupe une étrange atmosphère, et en les observant, on se sentait joyeux de voir à quel point la foi semblait les combler et donner un sens profond à leur vie.

Vers 8-9h, les pêcheurs débarquent. Arrivés sur leurs grandes barques en bois coloré munies de moteurs impressionnants, ils filent droit vers la halle aux poissons. Tout en préparant les prises de la nuit, certains se mettent alors à souffler dans des coquilles de chatrou, ou lambis, qui sont ces gros coquillages dont les habitants des Caraïbes adorent la chair. Cela fait un bruit long et puissant qui appelle le chaland à venir flâner du côté des étals. Au menu, petits poissons argentés : blanches, carangues et colas, ou encore les gorettes rayées de jaune vif, des poissons chirurgiens d’un bleu éclatant, ou des thons de tailles diverses (le dernier qu’on y a vu faisait 40 kg et avait une tête énorme).

En matinée à Sainte Anne, on peut aussi faire un tour au marché. Quelques étals trônent dans la petite halle couverte. Toujours les mêmes locaux, souriants et avenants, qui appellent touristes et habitants du coin à venir acheter la marchandise odorante. Épices enfermées dans de petits sachets plastique, quelques fruits locaux : bananes en régimes entiers, caramboles, fruits de l’arbre à pain, mangues parfois (qui viennent sans doute d’un jardin pas loin de là) et autres fruits de la passion. Surtout, on y trouve des collections de ces boissons sucrées à base de rhum qu’on ne manque jamais de trouver en Martinique. Du punch coco, ti punch, rhum aromatisé à tous les parfums imaginables, et puis toutes ces bouteilles aux noms exotique: ‘Redresse zizi’, ‘clito turbo’, ‘pète soutif’ ou encore, pour éviter les jaloux, le ‘pète braguette’…

Un peu plus tard, après le marché, on peut aller boire un café (Lavazza, s’il vous plaît !) à l’Épi Soleil. Cette petite boulangerie qui jouxte le resto Paille Coco offre des viennoiseries sympas, des baguettes typiques ‘French’ et du bon kawa ! Tasse fumante à la main, une baguette chaude sous le bras, on s’installe avec bonheur sur la petite terrasse couverte qui fait face à la magnifique baie de Sainte Anne. Les oiseaux du coin viennent quémander à même les tables les miettes qui traînent en faisant des bruits minuscules avec leurs petites pattes.

Après midi, le village dort. Hormis le 8 à 8, l’épicerie du coin, tout le monde fait la sieste ! Même les petites boutiques de touristes qui vendent d’habitude paréos, bijoux en graines locales et T shirts avec des slogans inspirants : « Sail Fast, Live Slow » ont descendu le rideau de fer. Pas question de trouver un endroit où faire ses emplettes, la fermeture de 12 à 14 (voire 15 pour certains) est sacrée ! On trouvera seulement quelques jeunes gars oisifs sur la place du village, qui jouent aux dés ou flânent en écoutant de la musique rap en sourdine.

En fin d’après-midi, d’autres pêcheurs reviennent de leur tournée en mer, et ressouflent dans le lambi consacré pour attirer le châland. Si on a plus envie de poisson, on peut très bien aller prendre une glace au bord de l’eau. À moins que l’appel des accras soit plus fort. Ceux de Martine sont les plus célèbres, au moins parmi les navigateurs. Elle laisse une petite feuille sybilline devant sa porte dans la journée, indiquant que ça se passe plutôt le soir à partir de 17h. « Ça », c’est la préparation des plus délicieux accras de morue et de crevettes de la Martinique ! Elle les prépare amoureusement avec sa sœur chaque jour, ouvrant la porte de sa cuisine, qui donne directement sur la rue. On aperçoit en arrière les piles de casseroles, la nappe aux couleurs un peu passées qui couvre une vieille table de bois, les ustensiles un peu partout, la céramique au sol… Et la nuit, quand ce n’est pas soirée karaoké au petit resto La Dunette, il y a des fois des jeunes qui écoutent un peu de musique sur la place du village. Ou alors c’est soirée dansante au Club Med, à moins que le resto Touloulou n’improvise un souper salsa. Mais c’est plutôt calme, le soir, à Sainte Anne. Et les habitants se couchent tôt, car ici, on vit selon le rythme du soleil. Et lui, il est plutôt lève-tôt !

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