Si la vie a un sens, ce n’est certainement pas un sens unique. Par contre, plutôt un sens de l’humour, même si celui de l’à propos manque parfois. Le seul truc sensé que je retiens de ces derniers mois est donc celui-ci : la vie a un sens de l’orientation. Un vrai sens, une direction que la vie suit instinctivement sans avoir pour cela besoin de panneaux indicateurs, de traceur GPS à la voix suave ou encore de balise de détresse (quoique…). Non, la vie est super intelligente et saute d’elle même sur les occasions qui s’offrent à elle de se dérouler, se déployer et se redéfinir en plus belle encore. Encore que… Il arrive qu’on lui coupe la parole, ou qu’on la coupe dans son élan. Il arrive qu’on lui passe la bride au cou, en lui expliquant benoîtement que « pas comme ça, chérie ! Tombe pas dans le panneau… du bonheur, c’est trop compliqué par là ». Eh oui, on lui coupe le sifflet, et on l’oblige à chanter une autre chanson, un truc du genre « rap déprime » sur un air de « chuis trop con et puis je rate tout de toute façon ».
Bon, vu comme ça, ça part mal… On sent que la vie rue dans les brancards, provoque des duels de synchronie avec nous, nous balance dans la face des occasions en or. Et nous on fait quoi avec ça ??? Eh bien ce qu’on peut ! Ce qu’on veut. Ce qu’on trouve à lui résister. Parce qu’on lui résiste. Sinon, on aurait l’impression de plus trop contrôler, et ça, on le veut pas, ce serait trop horrible. Non mais, vous imaginez ça, vous ? Une journée où on laisse les choses se passer sans JAMAIS rien dire, sans agir, sans placotter pour changer le cours des choses ??? L’horreur intégrale ! Autant se faire greffer une poignée de porte au milieu de la gorge !
Trêve d’images glauques (c’est vrai, ça, ça sert à quoi, au juste, une poignée de porte dans la gorge ??), voici où je veux en venir. Nous étions partis en bateau. Soit. On en a rabattu les oreilles de tout notre entourage pendant des années. Soit. (ou ne sois pas d’accord, d’ailleurs, c’est pas grave). Et puis finalement, au milieu du trajet, on vire de bord sans prévenir. Changement de direction. Pas à 180 degrés, mais presque. Les esprits chagrins diront qu’on a perdu le nord (mais en fait, il est toujours à la même place, l’affreux, suffit de prendre une boussole pour s’en persuader !). Ils n’auront peut-être pas tort. Sauf qu’en plus de la boussole, nous, on a un GPS sur Lam, alors… Bref, changement. Mais qui a changé ? Le vent ? Nous ? L’étrave du bateau ? Un dauphin qui a poussé sur la coque ? Que nenni. C’est juste la direction qui a changé. Pas nous. Pas le sens du vent. Celui du bonheur. Celui que nous définissons comme notre petit bonheur à nous. Pas celui de nos esprits chagrins préférés. Ouais. Le sens de la vie, qui nous chuchotait depuis quelques navs « bon, vous avez vu des trucs, c’est chouette, mais faudrait p’t’être songer à voir plus loin, des fois ». Le plus loin s’arrête en France pour l’instant. Ce qui est chouette, c’est qu’on a pas attendu d’être écoeurés d’être sur l’eau. Ça arrive, des fois. Pas juste l’écoeurentite aigue qui consiste à tirer la chasse d’eau en pompant comme un shaddock, ou celle qui se développe quand on répare pour la 142ème fois le bout qui tient le pare soleil et qui pète comme il vibre sur les filières ! Les écoeurés d’une aventure vivent cette dernière jusqu’à la dernière miette, jusqu’à ce que la nappe soit même complètement nettoyée et qu’il ne reste plus rien sur la table. Ils attendent que la vie tourne la page pour eux, et suspendent le geste qui va terminer le morceau, pour un temps indéfini. C’est un truc à se prendre une porte dans la gueule, tout ça. On la voyait venir, avec sa surface plane et dure, et on a pas voulu se la prendre.
D’où le changement de cap. Pour éviter la porte dans la gueule. La vague sur le pont. Le fruit pourri dans les cheveux. Bref, on a suivi ce qu’avait dit la vie et on en est vachement content. Parce qu’on a voulu mettre du sens dans l’après voyage, et cet après est arrivé avant. Avant la fin, la terminaison de ce truc flottant. Le sens arrive avec son béret et sa baguette, on va le suivre, c’est sûr. Parce qu’au fond (de l’eau), la vie à bord, passés les premiers étonnements, les premières grandes surprises, l’émerveillement (quoi qu’il ne passe pas vraiment, en fait), on avait envie d’autre chose. De mettre notre énergie dans du tangible, de l’orienté, du constructible. La vie sur l’eau a quelque chose de magnifiquement contemplatif, mais on en a pris quelques bribes, et on dirait qu’on en est pas encore à ce moment de notre vie (c’est certainement pas si évident, flanqués qu’on est d’une mini armée de marmousets en délire) où on peut s’arrêter sur le bord de la route et regarder la chenille traverser la route dans un exploit de lenteur et de couleur tranquille. On aura malgré tous nos efforts vécu au travers de cette lenteur étudiée en marchant un peu trop vite. La vie nous rappelle, on la suit. Il se trouve qu’elle semble plus terrienne, tout d’un coup. Allons-y. Gaiement. En fait, pour être tout à fait honnête, on a presque hâte.