Instant présent

 

La fillette attend dans la rue. Il pleut à gros bouillons. Pourtant, elle ne s’impatiente pas, piétine sur le trottoir, et écoute avec ravissement le petit bruit sur la flaque formée par l’averse. Elle sait que sa grand-mère va bientôt descendre, et qu’ensemble, elles pourront aller se perdre dans les allées du jardin. Il ne s’agit pas de manquer ce rendez-vous, le rituel de 14h chaque dimanche. Quel que soit le temps, elles respectent le moment de bonheur pur. Alors s’il pleut, c’est bottes et on y va. Pas de chichi. Elle entend le pas léger dans l’escalier. Lise ouvre la porte de bois peint en vert, passe la tête.

— Tu es là Rose ? Prête pour la promenade ?

 

La petite fille fait oui de la tête, elle sourit, un sourire large comme un rayon de soleil à travers une baie vitrée. Elle est prête, bien sûr. Toutes les deux, elles marchent lentement, en se tenant la main. Pas question de manquer un seul détail de cet instant qui les nourrit toutes les deux.

 

Après une vingtaine de minutes, elles arrivent devant la grille du jardin. Une porte imposante, faite de métal peint en noir avec des arabesques compliquées qui font comme un moucharabieh élégant pour servir de cadre luxueux aux vieux arbres qui habitent l’endroit. Elles poussent la pièce de métal lourde dans un grincement. Pas un mot depuis le départ, le silence qui les relie se comprend tout seul, il se nourrit d’instants que les paroles ne pourraient pas rendre plus lumineux.

 

Et devant leurs yeux gourmands, les cils humides de pluie, elles traversent le jardin qui est comme un vieux fauteuil dans lequel on s’assied pour se reposer. Elles parcourent les allées bordées d’iris violets, s’émeuvent des jonquilles persistant à envoyer leur jaune d’or dans le temps gris, perçoivent les parfums subtils des fleurs de tilleul qui s’accrochent encore aux branches des arbres. Tout semble nouveau chaque fois, semaine après semaine, le miracle se reproduit, elles voyagent dans un palais invisible fabriqué de couleurs odorantes et de lumière filtrée par les branches des arbres. Cette promenade est un repos pour le regard, et la petite finit, comme chaque fois, par lâcher la main qu’elle tenait pour s’élancer sur les graviers des chemins qui serpentent entre les arbres plusieurs fois centenaires. Elle joue à s’abriter sous les chênes dont les larges feuilles toutes neuves font comme un plafond tranquille au-dessus de sa tête. Elle chante, et cela fait rire Lise, qui la gratifie d’un sourire gracieux. La fillette lève les bras, danse sous la pluie, court chercher le bouton d’une pivoine pour en observer la tendre percée, s’exclame qu’un autre ait déjà déployé sa corolle et repart poursuivre un merle venu chanter près d’elle.

 

La pluie rend ce décor lisse, comme s’il était tout juste né, et qu’il se déplaçait avec la grâce d’un danseur… Ah, si tout pouvait naître et retourner au néant instant après instant, pensait Lise. Elle s’agenouille et regarde Rose. Lui ouvre les bras. La petite se retourne et court vers elle. Se love contre sa grand-mère en humant l’odeur adorée. Cette dernière comprend que chaque moment donné doit être imprégné de conscience, et elle inspire avec application pour garder en elle l’instant qui vient de se frayer un chemin dans le flot du quotidien disgracieux. Elle ferme les yeux, remercie, et laisse repartir la fillette qui s’échappe de nouveau vers ses fleurs. Tout est parfait. Elle prend tout et il n’y a pas de tri à faire, juste les yeux à ouvrir, et le cœur pour remercier.

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Processus créatif

J’ai commencé à écrire sérieusement après la naissance de mon deuxième enfant. Mais avant cela, c’était des tentatives, un peu hasardeuses, mais qui exprimaient bien ce besoin de me poser en écriture comme on arrive dans un pays. Il s’agissait pour moi d’assumer cette envie de raconter dans les mots. Tout le monde aime les histoires. Chacun de nous adore n’importe quel événement de vie, à partir du moment où il nous est raconté comme un déroulement, un conte.

J’avais envie d’écrire aujourd’hui sur le processus créatif. Une expression un peu barbare qui recouvre une réalité pour ceux qui s’acharnent à vouloir tirer d’eux-mêmes toute la lumière des images qu’ils ont dans le cœur. C’est souvent difficile de faire le chemin jusqu’à soi, d’une façon qui soit à la fois naturelle, authentique et fidèle à ce que l’on souhaite exprimer. Souvent, on pense qu’il suffit de… prendre le pinceau, tirer l’idée par le bout de la queue, lancer les mots dans l’air, sortir l’instrument… Mais si les choses peuvent effectivement se passer ainsi, il faut souvent beaucoup d’autres ingrédients pour la petite popotte créative que nous avons sur le feu.

J’aimerais donc partager avec vous quelques trucs qui m’aident à créer. Parce que les recettes sont légions, elles ne correspondent pourtant pas toujours au plus grand nombre… Ce qui m’a toujours aidée, en revanche, est la lecture des bouquins de Julia Cameron, grande prêtresse de la créativité. Et puis laisser du silence autour de soi. Ou plutôt un silence composé : accompagné de musiques signifiantes pour moi, qui me transportent dans un ailleurs qui résonne avec le fond de mon être. Créer l’espace, aussi. Avoir un endroit à soi, si petit soit-il, où on peut se laisser aller à créer sans se faire interrompre, juger ou mettre en boîte. Une pièce, un bout de lieu que l’on aura investi avec ses objets personnels, ses grigris, décoré avec des éléments que l’on aime et qui nous sécurisent.

Et puis sentir le moment. L’inviter chez soi, en réalité. Cela signifie faire un trou dans un emploi du temps peut-être bourré à craquer, et le défendre contre vents et marées. Ce moment est pour vous seul(e). Un instant de vie dédié à laisser l’intérieur de votre vie prendre le pas sur l’extérieur. Quand les mots, les sons, les couleurs prennent le pas sur le bavardage du quotidien pour exprimer des idées nouvelles, manifester des émotions et simplement vivre d’une autre façon. Accompagner de musique ces instants est très inspirant pour moi. Le piano aide beaucoup, ou des musiques sans paroles qui viendraient parasiter de sens la page vide où j’ai besoin de laisser aller la plume. Nurturing process.

Pour aller au-devant de soi, il faut laisser intacte la volonté de dépasser ses limites et y aller. Quoi qu’il en coûte à l’ego, qui voudrait toujours que tout soit parfait. Pour cette raison, je me laisse toujours écrire au kilomètre dans une histoire. Je me dis toujours que je ferai les coupes après. Et dans mon dernier livre, même après la 4ème version, je pense que j’aurais pu couper encore 😉 Mais se laisser créer. Imparfaitement. Car sur le sentier que l’on a choisi d’emprunter, la démarche n’est pas parfaite, les cailloux font dévier le pied, le ruisseau doit être enjambé et pas toujours de la façon la plus artistique qu’il soit… L’important est simplement d’avancer, et de rester toujours fidèle à soi. C’est une manière d’exprimer au monde que l’on est singulier et que l’on se donne le droit d’être, quoi que les autres pourront jamais en dire. C’est notre droit fondamental, et que ceux qui ne créent pas se gaussent dans leur coin, nous avons ce besoin et nous y répondons par nous-mêmes, en toute autonomie.

Une autre voie qu’il m’a fallu longtemps travailler, c’est l’attente. Car il est arrivé souvent que je me reproche à moi-même de ne pas écrire, de ne pas faire alimenter la source créative plus régulièrement. En réalité (et j’ai mis un temps fou à le comprendre !), le processus créatif est sinueux, s’évapore à un endroit pour ruisseler à un autre, il s’échappe mais son courant est très fort… Alors il s’agit parfois d’accepter simplement que le repos est comme un compost d’idées qui se croisent, s’emmêlent et finiront par nourrir le prochain texte, la prochaine peinture, le prochain morceau de musique… Il faut toujours garder cette confiance là, dans toutes les activités que nous réalisons. Garder ce moment d’échange avec une amie dans un café, le sourire du môme croisé dans la rue la veille, le jeu avec le chat sur le canapé, la promenade au bord de l’eau alors qu’il pleuvait… Tout est bon pour le cours d’eau créatif qui va s’insinuer dans toutes les pores du quotidien pour nourrir les travaux de création à venir. Nul ne peut savoir comment ce courant-là va ensuite imprégner les œuvres qui ne sont pas encore créées. Mais il faut rester à l’écoute, aux aguets de ces signaux. Rester confiant que le travail se fait, malgré soi. Et si un jour se termine, où on n’a pas écrit plus de trois phrases, et bien ces phrases seront peut-être le début d’un quelque chose qui fera tout chavirer, qui viendront changer le cours de l’histoire.

C’est une expérience de lâcher prise, au demeurant. Accepter que la création suive son petit but obstiné qui nous échappe, un peu comme l’oiseau capricieux qui ne viendrait pas, chaque fois que nous déposons les graines devant la fenêtre à son intention, mais seulement quand il l’a décidé.

 

N’hésitez pas à partager dans les commentaires comment vous vivez ces moments parfois lents et difficiles, ou bien enthousiasmants et tellement riches…

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Une solitude

Aujourd’hui, j’ai envie d’évoquer la solitude. Celle que l’on cultive ou celle que l’on fuit.

Certains jours, il y a la solitude pesante qui laisse penser que nous sommes coupés des autres. C’est lorsque le doute s’invite et se répand comme un poison. Je pense alors à quel point je suis différente, inatteignable, ou pas assez… ceci ou cela. Le doute dresse comme une barrière entre les autres et moi, et pas moyen dans l’instant de réduire cette distance, quand j’aurais tant besoin d’une main tendue. Tellement envie que quelqu’un se penche sur ma douleur et veuille bien la porter avec moi, juste le temps de quelques minutes. On a le sentiment alors que personne ne pourra comprendre, ou que les autres n’ont pas le temps, que cela ne sert à rien et qu’il est vain de chercher à se mettre en lien…  

Il y a aussi des fois où la solitude est ce baume bienfaisant que l’on invite chez soi pour se ressourcer un peu. C’est souvent ainsi que je conçois les moments que je passe seule. Loin de m’effrayer, cette solitude m’attire terriblement, pour les promesses qu’elle me fait de pouvoir renouer avec moi-même. J’ai besoin d’elle pour apprendre à me recentrer, comme lorsque je m’assois le matin pour méditer. C’est alors le silence de la pensée, qui se pose dans le repos calme, shamata. C’est là que j’apprends à écouter.

Ecrire est une autre façon de le faire. Car l’écriture est un acte solitaire, même lorsqu’elle est pratiquée en groupe. J’ai ainsi le souvenir d’un atelier d’écriture que j’avais fait à Montréal, par un WE froid d’hiver. Nous écrivions dans une petite salle, et chacun s’était réfugié dans un coin de la pièce pour s’isoler. J’ai connu là des moments d’une intensité émotionnelle incroyable, à revenir sur ma propre histoire par les mots que je choisissais de coucher sur le papier. J’ai pleuré tant et plus, durant 2 jours, et j’étais seule avec moi-même tout ce temps, malgré la présence bienveillante des autres participants. C’est une solitude qui me plaît et me répare. Elle offre la possibilité de se mettre à l’écoute de soi et de ce qui nous porte, de ce qui nous blesse et de ce qui nous touche. On se met alors au diapason de la vie intérieure qui nous traverse, et cela permet de vivre davantage en cohérence avec la personne que nous sommes profondément. Les choix qui découlent de cette écoute seront tournés vers le nord que nous indique le cœur.

Une autre solitude est celle que je peux cultiver lors d’échappées hors du réseau amical et affectif connu. J’affectionne particulièrement ces moments où je pars, une fois par an, construire ailleurs un moment présent différent, hors de mes repères habituels. Il faut alors que je me rende disponible pour des expériences inédites, en dehors de ce que j’ai l’habitude de faire ou de voir. Je m’en vais marcher seule, ou je loge dans une petite ville que je ne connais pas. J’évite sciemment les rencontres un peu trop poussées, qui dépassent le « bonjour, bonsoir ». Je suis dans ma bulle, et j’ouvre mes yeux à des paysages étonnants. Un peu comme lorsque je voyage en train, un casque sur les oreilles pour écouter de la musique, le nez pointé vers les paysages derrière la fenêtre. Je laisse les pensées faire leurs divagations, me laissant dépourvue de désirs ou de souhaits. Simplement connectée à ce moment qui passe. Cette solitude, c’est un peu retrouver le sens du gratuit. On fait feu de tout bois, et l’on ramasse des petits bouts de quotidien, des miettes de vie, là où elles sont tombées. Sans chercher à faire autre chose que les toucher du bout des mains et s’immerger dans un présent qui ne demande rien. On respire, et sans être dans l’échange, on sent pourtant à quel point on fait partie du tout. C’est l’Universel qui se mêle à ces moments minuscules et nous relie alors au grand tout.

La solitude n’est finalement jamais que relative. Elle est discrètement liée à notre perception, celle qui nous laisse croire que nous sommes isolés des autres, ou au contraire reliés indissociablement à eux. Qui nous fait penser que nous n’avons de valeur qu’en lien avec ceux qui nous aiment ou pas, ou bien que cette valeur n’est pas fonction d’un état particulier. Nous pouvons aussi bien, dans ce cas, considérer que nous sommes une partie du tout, quel que soit notre caractère, notre vie, et nos choix. Et alors peu importe que les gens gravitent autour de nous ou pas, nous sommes intégrés à cette humanité jusqu’à la fin des temps.

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