Donne-moi quelque chose qui ne meurt pas…

Je suis en train de lire S’aimer enfin ! de C. Fauré. Cet auteur m’accompagne de ses livres depuis plusieurs années. J’avais lu d’abord son livre sur la crise du milieu de vie. C’est en relisant un des passages que, le 2 janvier 2020, j’ai pris la décision de divorcer de mon mari, après 25 ans d’existence partagée. Une décision irrévocable, et que je n’ai jamais regrettée, puisqu’elle m’a permis de connaître le bonheur que je connais aujourd’hui… J’ai aussi lu celui qu’il avait écrit sur la crise du couple et qui m’a aidée à envisager la séparation, à l’intégrer. Aujourd’hui, ce livre que j’ai entre les mains résonne une fois de plus d’une manière particulière… Car le chemin de vie qu’il décrit, le sien, est en écho parfait avec le mien. Bien sûr, je n’ai pas passé 2 ans dans un monastère bouddhiste, je ne médite pas plusieurs heures par jour… Mais je commence à entrevoir, à percevoir, les états qu’il décrit lorsqu’il évoque cette partie en lui qui reste stable dans la grande difficulté.

 

Après 2 ans d’un voyage chaotique où j’ai touché du doigt la grande solitude, des difficultés physiques et émotionnelles que je n’avais encore jamais connues, des impasses et la confrontation avec mes vieux schémas, mes parts les plus sombres… voilà que j’arrive à une étape. C’est un peu le temps de repos avant la course folle qui devrait enchaîner, je le pressens depuis quelques temps. Ce repos, je le veux salutaire, tranquille, rempli de la conscience du chemin parcouru… J’ai eu le sentiment, durant 2 années, d’être un pantin désarticulé tant les vagues qui m’ont secouée ont pu être violentes parfois. Mais j’avais la volonté tranquille de ceux qui veulent aller au bout. J’y suis allée. Au bout du schéma qui m’avait rendue aveugle et qui s’est finalement déchiré comme un voile, me permettant de voir ce qui demeurait jusque-là invisible. Au bout de mes espoirs, de ces trahisons envers moi-même, des pans d’un passé peu brillant que je voulais me cacher… Au bout de ma fatigue, et de ces moments où l’ego perd pied et fait n’importe quoi, est prêt à tous les discours pour revenir à ce qu’il connait. J’ai tenu bon. Grâce à mes amis, ma famille, à ces podcasts sur la spiritualité, la loi de l’assomption… Grâce à des heures passées à marcher, durant des kilomètres, pour faire avancer la connaissance que j’avais de moi, pour remuer et oxygéner ces pensées qui avaient besoin de s’aérer… Grâce à l’homme que j’ai aimé et qui m’a permis de comprendre combien il était vital de ne plus faire de concessions sur celle que j’étais, de m’accepter moi-même telle que j’étais pour que, plus jamais, aucun homme ne soit le prétexte que je choisis pour me perdre à mes propres yeux.

 

Je me suis appuyée sur cette expérience pour devenir enfin la personne que j’étais vraiment. J’étais déterminée à dépasser toutes mes limites pour incarner enfin celle que je voulais être. Pour être dans cet endroit, quelques mètres sous la surface du lac. Ce niveau à partir duquel l’eau ne bouge pas, quel que soit le temps, quels que soient les vents et les vagues qui s’énervent au-dessus. Je voulais connaître cet espace tranquille qui ne s’émeut pas des événements qui se jettent sur la surface du quotidien. Je suis en train de trouver cela. Et ce coin dans ma conscience, il ne dépend de personne, il est vierge de toute influence, je m’y réfugie désormais lorsque j’en ressens le besoin. Ce que décrit C. Fauré dans son livre, c’est cette quiétude qui ne doit rien à personne et qui est là, en chacun de nous, lorsqu’on enlève toutes les couches qui en obstruent l’accès. C’est ce que j’essaie de montrer du doigt à mes patients lorsqu’ils cheminent vers eux-mêmes. Certains le trouveront. D’autres pas. C’est ainsi. Mais me revient souvent ces temps-ci le magnifique titre d’un livre de photo de Boubat avec les écrits de Bobin : « Donne-moi quelque chose qui ne meure pas ». Je pense qu’avec ce voyage de 2 années au cœur de moi-même, je me suis trouvée, et j’ai mis la main sur quelque chose qui ne meure pas…

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De retour sur le chemin de Stevenson

Pèlerinage sur un voyage d’il y a 4 ans. A l’époque, nous avions loué un âne sur le chemin de Stevenson. Je marchais au soleil ce matin en quittant le Puy en Velay, pour y retrouver ces souvenirs. Depuis mon dernier passage, ils sont en train de terminer une 4 voies près du marais de l’Ours…

Je marche sur ce chemin, et le temps est radieux. Après une petite forêt, le sentier descend vers une plaine, où une femme me rattrape. Elle approche des 70 ans, menue, cheveux gris coupés courts et sur le nez une paire de lunettes aux verres épais, cerclés de bleu. Bien vite, nous commençons à bavarder en marchant. Au croisement suivant, elle me propose :

« Ça vous tente de voir un chemin à biquettes ? La vue est superbe, et il est vraiment joli…”. Après une telle réclame, comment résister ? Je lui emboîte le pas. Ma guide aime visiblement avoir de la compagnie, et je profite de l’aubaine pour en apprendre davantage sur le coin. Ici, elle me montre les « orgues » : ces roches angulaires en tuyau qui viennent du temps où un volcan était en activité, il y a plusieurs milliers d’années. Elle me parle du pouzzolane, issu du magma et dont on voit les traces un peu partout dans la région. Je m’étonne de la forme des pins que je croise depuis le matin : ils sont tordus comme des bonsaïs géants, chétifs et déformés. Elle m’explique qu’il s’agit du pin de boulange, comme on les nomme par ici. Il y a longtemps en effet, les paysans étaient tenus par la communauté de couper leurs branches afin d’alimenter le four à pain ! Si bien qu’au fil du temps, les arbres se sont adaptés tant bien que mal à ce traitement spécial qui a entravé leur croissance…

Pin à boulange

Plus loin, le chemin redescend, et ma guide veut m’entraîner à sa suite, mais je refuse. J’ai pris ces quelques jours pour me retrouver seule, et il est important pour moi de respecter ce cercle de solitude que j’ai tracé autour de moi. C’est un rendez-vous que je prends chaque année, loin de tout contact avec mes proches ou des amis. Je pars, et j’écoute, je vis, je mange à mon rythme. Un ressourcement indispensable, vraiment. Donc je la laisse poursuivre, et je rebrousse chemin pour retrouver un endroit devant lequel nous sommes passées quelques minutes auparavant. Là où je m’assieds, c’est le silence. Ou plutôt le brouhaha de la nature qui respire : le chant des grillons, celui d’un coucou qui disperse son appel dans l’air. Je me suis assise sur des rochers couverts d’une épaisse couche de mousse, et qu’une grosse fourmi rouge peine à franchir. On sent une odeur de pin alourdir l’air ambiant d’effluves délicieux. C’est un lieu un peu spécial, avec une énergie bien  à lui. La femme qui m’accompagnait me l’a désigné comme l’endroit où elle passait parfois, quand elle était jeune. Il avait été investi à cette époque par une bande de jeunes qui y avaient installé un petit promontoire en bois, face à la vue. On voit ici et là des vestiges de cette période : une chaise en métal qui rouille au bord du chemin, quelques planches pourries encore à demi accrochées aux arbres, des ficelles en plastique décolorées qui traînent dans l’herbe… Cela me rappelle cette petite plateforme qu’avait fait construire Coluche dans son jardin de Deshaies, en Guadeloupe. Il venait y admirer la vue splendide qu’on y a sur l’océan en sirotant son apéritif, et je me souviens d’avoir senti une énergie particulière flotter dans cet endroit qu’il affectionnait. Les lieux sont parfois chargés d’une aura spéciale, d’un parfum d’immobilité qu’il est bon de sentir à petites bouffées, en prenant son temps… Et là, sur mon petit rocher moussu, je peux me remplir les poumons et le cœur en admirant la vallée en face, dominée par un château du Moyen Age sur la colline voisine. La mousse est moelleuse, grisée par le soleil sur les rochers exposés, mais d’un vert chatoyant sous l’ombre des arbres. Les pins laissent tomber cette odeur sucrée que j’adore, quand la chaleur s’invite sur leurs branches.

Cet endroit est paisible, avec les monts d’Auvergne au loin, et des arbres plusieurs fois centenaires en contrebas. Un lieu vivant, qui vibre et bouillonne de mouvements incessants et minuscules, de bruissements discrets. Je remplis posément mon puits intérieur de ces images, ces odeurs, et le jeu du soleil entre les branches des arbres. Comme si l’esprit pouvait enfin se poser, comme le papillon au terme d’un voyage de plusieurs milliers de kilomètres. Mes yeux se régalent de cette vie secrète qui s’anime. Un lézard se risque un peu plus bas sur les rochers. Il file soudain, effrayé par un bruit. Mon esprit s’étire dans cet espace de silence. C’est le moment d’être, simplement. On est, plus facilement, quand on cesse de faire. Les deux ensemble sont souvent difficiles à conjuguer.

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