Jean-Sébastien et moi

DSC_8118On s’est fréquentés longtemps, avant que je ne tombe sous son charme. Cette relation s’est étirée dans le temps, comme une lettre écrite dans l’air, durant des années. Il me semblait terriblement ordonné, bien trop sec et sans fantaisie. Je le snobais sans m’en rendre compte.

Il a fini par m’avoir, grâce à Glenn. Glenn, qui vivait plus qu’il ne jouait sa musique. J’ai fait la connaissance de Jean-Sébastien Bach au bout des doigts de Glenn Gould. Depuis, il accompagne mes heures, des plus studieuses aux plus mélancoliques. Il était là, sur mes pages d’écriture les plus poussées, lorsque nous naviguions sur une mer étale, ou lors de trajets en voiture sur les routes interminables du Canada ou des Etats Unis. Bach, toujours lui. Et surtout ce morceau : l’Aria, dans les variations Goldberg. Dans ce moment de silence suspendu, celui que Glenn a joué en 1981 (la version des années 70 est tellement trop rapide), il faut prêter l’oreille. Car Gould, assagi par les années, y dépose son cœur sur chaque note. Il chantonne, laissant s’écouler les sons de son piano, comme un trop plein de sentiments se déversant dans un ruisseau de musique.

Bach, c’est cette qualité de silence qui s’ordonne dans la longueur d’un instant. C’est la vie qui se dit dans un souffle, au gré d’une branche qui frôle le sol, encouragée par la brise. Un enfant qui contemple la progression d’une coccinelle sur une feuille de géranium. La vague tranquille qui enveloppe le rocher lisse. Bach, c’est la lumière rasante de l’aube se déposant sur la dentelle d’une feuille étoilée de rosée, l’espoir qui se faufile dans une journée morte et étouffante. Une envie de rire et de pleurer qui s’émeuvent ensemble dans le même souffle. Une aspiration à la paix sereine d’une fin de jour qui s’éteint sans un bruit. Un silence qui se prolonge. Le silence.

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