Il était arrivé le visage fatigué, les traits tirés, et ses yeux semblaient enfoncés dans leurs orbites plus que jamais. Le corps maltraité par une chimiothérapie qui l’épuisait, lui enlevait ses forces vives et son énergie. Il arriva à la roulotte, ne sachant trop quoi faire de cette enclume qu’il avait à porter à la journée longue après chaque injection. Il déposa tout cela dans la roulotte, en s’installant sur le futon. Conscient que le toucher associé au shiatsu qu’il allait recevoir pourrait peut-être remettre de l’ordre dans ce bazar généralisé qu’il subissait depuis plusieurs semaines.
On commença par discuter. Évoquer la maladie, ce qu’elle pouvait bien signifier. Le mal a dit. Que disait celle-ci ? Quel rôle pouvait-elle jouer à ce moment de sa vie ? La question se posait, et il commençait à y répondre. Je débutai le soin, lui proposant quelques exercices en hypnose, qu’il accepta de faire. L’idée était de préparer l’esprit et le corps à la prochaine injection, le lendemain. J’ai débuté par quelques points choisis pour aider le corps à retrouver l’énergie qui lui manquait. Puis j’ai débuté le shiatsu dans le dos. A un rythme régulier, profond et lent. J’ai déroulé pour lui une histoire, un paysage et j’y ai fait venir des personnages. L’enfant intérieur, le guide né de son inconscient. Des aides et des soutiens indispensables dans l’épreuve qu’il avait à affronter. Il se laissa aller. Il accepta de faire mentalement circuler l’énergie dans les endroits où elle semblait avoir du mal à se mouvoir.
Une conscience amie s’invita dans la roulotte à ce moment-là, pour soutenir le travail qui se faisait alors dans le corps, l’esprit, l’âme du patient. Comme si tout allait concourir à précipiter sa guérison, comme si toutes les forces en présence avaient ce pouvoir de lui permettre de sortir de la maladie comme on quitte soudain une pièce, parce qu’on l’a choisi et qu’il est temps d’avancer, d’aller ailleurs trouver la vie qui attend dehors. J’imprimais dans son corps les pressions avec mes doigts, sur le trajet des méridiens qui avaient besoin d’être soutenus. Je sentais l’énergie affluer par endroits, et lorsqu’elle tardait à venir, je le sollicitais pour que, mentalement, il fasse le travail nécessaire. Je sentais les pieds froids, et mes mains agitèrent l’énergie dans ces parties du corps pour que la chaleur y prenne ses quartiers. La nuit tombait, j’allumais la guirlande de lumière tamisée. On entendait quelques chants d’oiseaux, rendus timides par le jour qui s’éloignait. Sa respiration était régulière, apaisée, et son corps se relâchait doucement des tensions accumulées, rendant les points de shiatsu plus aisés, profonds et efficaces.
Les échanges furent énergétiques, passèrent par quelques mots, s’étirèrent le long des mains. On sentait dans la petite pièce une vibration particulière porteuse de vie. A la fin du soin, il semblait reposé et sourit. De ce sourire dont il avait le secret, immense et qu’il ne cherchait pas à contenir. Il avait l’air d’avoir trouvé quelque chose. Quelque chose qui ne meurt pas. Qu’il avait toujours eu, et dont il prenait conscience soudain.
Le lendemain, l’injection se passa en un claquement de doigt, et il resta détendu tout du long, protégé cette fois par un cocon invisible qui l’enveloppait d’amour. Et je sais qu’il est en train de trouver l’homme qu’il est réellement, grâce à cette maladie qui l’a déjà quitté et n’est plus qu’un souvenir… Il a pris la leçon qu’elle lui apportait, il s’est débarrassé du mal qui lui a dit tout ce qu’il avait à dire…